Les agriculteurs seraient en meilleure santé physique que le reste de la population, mais ils sont davantage sujets à certains cancers qui pourraient être liés à l'usage de pesticides, met en évidence l'enquête Agrican. Ce travail conduit notamment par l'INSERM auprès de 180 000 affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA) s'est déroulé dans 11 départements, entre 2005 et 2015. Ce qui en fait la plus grande étude au monde sur les cancers en milieu professionnel agricole.
Les premiers constats de l'étude épidémiologique semblent rassurants : « Toutes causes confondues, les hommes et les femmes de la cohorte ont une mortalité inférieure de 25 % à celle de la population générale » des départements dont ils sont issus, selon le « bulletin n° 3 » communiqué fin novembre aux participants de la cohorte.
Les chercheurs expliquent cet état de santé « globalement meilleur que celui de la population générale des départements concernés » par un moindre tabagisme, davantage d'activité physique et moins de sédentarité ainsi qu'une alimentation différente. Ils mettent néanmoins en garde contre un éventuel « effet du travailleur sain » : la cohorte n'ayant pas intégré les personnes sans activité et potentiellement vulnérables ou malades.
Surreprésentation des lymphomes et des myélomes
À première vue, les données sur les cancers sont aussi rassurantes, puisque les nouveaux diagnostics de cancer, entre 2005 et 2015, sont moins fréquents chez les hommes (-7 %) et chez les femmes (-5 %) dans la cohorte Agrican que dans la population générale.
Sur 43 cancers étudiés, 14 sont retrouvés moins fréquemment parmi les membres de la cohorte. Mais six l'ont été plus fréquemment : les participants « sont ainsi plus touchés par l'ensemble des lymphomes (+9 % chez les hommes et +7 % chez les femmes), et notamment par un type particulier (les lymphomes lymphoplasmocytaires, +50 % environ) et par les myélomes multiples (+20 % environ) », lit-on. Des risques majorés sont observés chez les cultivateurs utilisant des pesticides ou parmi les éleveurs désinfectant leurs bâtiments.
Un lien possible pour le cancer de la prostate
Les chercheurs évoquent aussi « un lien possible entre l'exposition aux pesticides et le cancer de la prostate (+ 3 %), une hypothèse qui est cohérente avec le résultat de nombreuses autres études ». Ainsi, les arboriculteurs « réalisant des traitements pesticides ou des récoltes sur plus de 25 ha avaient un doublement de risque de cancer de la prostate ». Le risque était majoré de 20 % chez les personnes utilisant des insecticides sur bovins et de 10 % chez les éleveurs de porcs.
L'on retrouve aussi plus souvent des mélanomes cutanés chez les femmes (+ 29 %) et des cancers des lèvres chez les hommes (+ 55 %). Ce dernier ne représente néanmoins que 0,4 % des cancers retrouvés dans la cohorte et pourrait s'expliquer par l'exposition aux rayons ultraviolets liés au soleil, aux pesticides lors du débouchage des buses, ou à certaines pratiques tabagiques.
Un risque de Parkinson augmenté de 40 %
Quant à la maladie de Parkinson - reconnue comme maladie professionnelle liée à l'utilisation de pesticides depuis 2012 par la MSA, comme certains cancers du sang ou lymphomes -, l'étude relève que « les utilisateurs de pesticides avaient plus de risque de développer la maladie que les membres de la cohorte non-utilisateurs de pesticides ».
Plus précisément, elle met notamment « en évidence une augmentation de risque de 40 % de maladie de Parkinson en lien avec l'utilisation de deux molécules dithiocarbamates (zinèbe et zirame) », des fongicides couramment utilisés en viticulture, en arboriculture fruitière, sur certaines céréales ou encore sur des pommes de terre.
Davantage de suicides
Enfin, l'étude Agrican note un risque majoré de suicide (+14 % chez les hommes et +46 % chez les femmes), en particulier chez les chefs d'exploitation agricole (risque deux fois plus important que chez les salariés). Les derniers chiffres disponibles font état de 372 suicides d'exploitants agricoles en 2015, plus d'un par jour.
Le sujet vient de faire l'objet d'un rapport du député (LREM) du Lot-et-Garonne, Olivier Damaisin, qui a salué l'importance des initiatives pour lutter contre un phénomène longtemps « mis sous cloche », tout en appelant à davantage de coordination.
L'élu suggère, dans ce travail remis au gouvernement, de mieux communiquer à destination des personnes en souffrance pour rompre le tabou, en faisant connaître les plateformes d'écoute, comme Agri'écoute, financée par la MSA (09 69 39 29 19). Et demande la publication annuelle du taux de mortalité par suicide, avec le détail de la typologie des agriculteurs concernés et des causes.
Olivier Damaisin propose ensuite de recruter des citoyens « sentinelles » dans les corps de métiers proches d’agriculteurs (coopératives, chambre d'agriculture, vétérinaires, médecins et pharmaciens, facteurs, élus, etc.) pour repérer les agriculteurs fragilisés et les orienter vers des dispositifs d'accompagnement.
Il préconise enfin la création d'un observatoire national des exploitations en difficulté, sous l'égide du ministère de l'Agriculture, le développement des dispositifs de mentorat entre un agriculteur et un entrepreneur, mais aussi entre un agriculteur expérimenté et un jeune qui doit être sensibilisé au mal-être, ou encore le soutien de l'aide au répit de la MSA (qui actuellement finance le remplacement jusqu'à 10 jours des adhérents en burn-out).
Un délai à concevoir plus long chez les couples agriculteurs
Un nouveau projet au sein de la cohorte Agrican met en lumière, à partir des réponses de quelque 615 femmes ayant eu une grossesse depuis 2005, un allongement du délai à concevoir (temps en l'arrêt de la contraception et le début de la grossesse). Il est de plus de 3 mois pour la moitié d'entre elles. En comparaison avec les femmes actives au cours des 3 mois précédant le début de la grossesse, une augmentation de ce délai était observée chez celles ayant travaillé sur une exploitation agricole : une diminution de 17 % des chances d’être enceinte au cours d’un mois donné était observée et jusqu’à 28 % lorsque le père exerçait aussi une activité agricole. Le travail de nuit et l’exposition à des vibrations étaient également associés à une diminution de 34 % et 38 % des chances d’être enceinte un mois donné.
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