C'est avec un ton incisif que les rapporteurs de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dressent un portrait sans concession de l'utilisation du Truvada dans l'indication de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) du VIH. Dans un communiqué, l'IGAS elle-même reconnaît que « le ton virulent » ainsi que « certains propos excessifs, sont regrettables », mais, sur le fond, le constat demeure : les retards à l'allumage de la mise en œuvre de la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) du Truvada dans la PrEP auraient provoqué 350 contaminations évitables.
Ce rapport fait suite à une saisine du ministère de la Santé de mars 2017. Le ministère souhaitait alors une évaluation de la mise en œuvre de la RTU, décidée en janvier 2016, du Truvada dans l’indication de la PrEP. Cette recommandation temporaire a pris fin au 1er mars 2017, avec l’extension de l’AMM de ce produit pour la PrEP.
Les inspecteurs Gilles Duhamel et Aquilino Morelle reprochent les 35 mois d'instruction du dossier de RTU. Une durée qualifiée d'« anormalement longue ». Il a notamment fallu 18 mois (de janvier 2013 à juillet 2014) pour que l’ANSM annonce son intention de procéder à l’évaluation du rapport bénéfices/risques du Truvada dans la PrEP et indique son choix de recourir, pour ce faire, à un CSST ad hoc.
Une évaluation basée sur les chiffres de la DGS
La mission fonde son estimation sur les chiffres utilisés par la Direction générale de la santé (DGS). Dans une note à l’attention du directeur de cabinet de la ministre, datée du 2 octobre 2015 (annexe n° 2), la DGS indique en effet les bénéfices attendus d’une autorisation de la PrEP : « Il convient de souligner que le nombre de contaminations évitées serait potentiellement de 1 000 à 2 400 par an. »
En retenant cette hypothèse, et par projection sur une durée de 20 mois, « le nombre de contaminations consécutives au retard accumulé se situe entre 1 666 et 4 000 ». Mais en tenant compte de la montée en charge progressive du dispositif, ce sont 350 contaminations « qui auraient pu être évitées », selon les rapporteurs. À l’inverse, la mise à disposition du Truvada via la RTU a permis à la France « de gagner 7,5 mois par rapport à l’AMM européenne (4 janvier 2016/18 août 2016) et, ainsi, d’éviter entre 625 et 1 500 contaminations par le VIH », ajoutent-ils.
Les rapporteurs reprochent au laboratoire Gilead d'avoir « dépassé les délais opposables de mise à disposition des données auprès de l’ANSM sous couvert de son autorisation ». Ils dénoncent également la « passivité étonnante » de l'ANSM qui aurait marqué une pause inexplicable de 9 mois entre la clôture de la phase de collecte des données, le 14 octobre 2013, et le 21 juillet 2014. « Pendant ce temps, en effet, les données scientifiques en faveur de la PrEP comme instrument de prévention complémentaire aux dispositifs classiques, en particulier le préservatif, se sont étoffées, ajoute les auteurs. L’ANRS elle-même a alors lancé l’essai IPERGAY depuis plus de deux ans. »
Accès plus facile en ville et en métropole
Au chapitre des inégalités de territoire, les milieux urbains et la métropole ont un meilleur accès à la PrEP. « La situation épidémique en Guyane, appelle un réexamen stratégique », insistent-ils. Par ailleurs, le recours à la PrEP reste insuffisant parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et les personnes nées dans des pays à forte prévalence.
Pour une recommandation d'usage avec AMM d'office
Au terme de son analyse, « la mission recommande la redéfinition du cadre législatif encadrant le recours à des médicaments ne disposant pas d’AMM dans des indications reconnues comme utiles à la santé publique ». Les auteurs préconisent ainsi de remplacer le cadre juridique de la RTU par une « recommandation d’usage émanant de la Haute Autorité de Santé avec octroi d’une AMM d’office par l’ANSM ».
Une telle mesure se heurterait cependant au cadre juridique communautaire actuel relatif au médicament. La mission propose aussi l’élargissement de l’accès à la PrEP aux adolescents à risque substantiel de contamination par le VIH. Un élargissement qui ne fera pas l'économie d'un « débat public ».
En dépit des difficultés d'accès évoquées, la mission de l'IGAS montre que la mise en œuvre de la RTU s’est déroulée de façon satisfaisante. « L’élaboration du protocole, les modalités de suivi médical des personnes et la collecte des données ont été convenablement menées, constatent les auteurs. En termes financiers, la prise en charge à 100 % de la PrEP, jugée nécessaire, a été mise en place. »
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