Politique et sexualité

La notion d’addiction en question

Publié le 18/05/2011
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L’AFFAIRE Dominique Strauss-Kahn a déjà suscité beaucoup de commentaires et l’image d’un DSK menotté a beaucoup choqué. À cette occasion, la notion d’addiction sexuelle a été évoquée. Le psychiatre Laurent Karila, psychiatre à Paul Brousse, a affirmé dans « Libération », « l’addiction au sexe n’a rien à voir avec le pouvoir ». Les classifications internationales (CIM et DSM-IV) proposent une vision unitaire des syndromes de dépendance qui associent à la fois des symptômes psychiques et physiques. Si certains auteurs estiment que les conduites de dépendances ne se réduisent pas à l’usage abusif de substances toxiques et englobent les addictions comportementales, le Pr Michel Lejoyeux (CHU Bichat-Claude Bernard et Maison Blanche, Paris) reste toutefois prudent : « En France, on est très réticent vis-à-vis de ce concept d’addiction sexuelle. Il n’y a d’ailleurs aucune clinique qui traite de ce genre d’addiction. Il s’agit, pour beaucoup, d’une construction nord-américaine autour de tout comportement sexuel qui apparaît déviant, inadéquat. Je ne suis pas confortable pour parler de ce sujet », indique le psychiatre qui rejette toute simplification. « C’est quand même un peu plus compliqué et polyfactorielle que la dépendance chimique. On ne fait pas de crise d’épilepsie quand on arrête le sexe, il n’y a pas de delirum tremens ni de démence ». Il lui est par conséquent difficile d’envisager une prise en charge « sur le mode strict et exclusivement nord-américain de la désintoxication », explique-t-il au « Quotidien ». On se souvient qu’en 2010, le célèbre golfeur Tiger Woods, suite à ses déboires conjugaux, avait choisi de se faire admettre dans un centre de désintoxication.

Jeux vidéos, achats, sexe.

Les critères des troubles addictifs donnés par le Dr Aviel Goodman (1990) permettent toutefois de considérer que l’addiction touche également différents comportements comme les jeux vidéos, les achats, le travail, le sexe. Il y a addiction lorsqu’un comportement procurant normalement plaisir et soulagement est employé selon un mode particulier caractérisé par l’incapacité du sujet à maîtriser ce comportement lors de chaque épisode et la poursuite de ce comportement en dépit de ces conséquences négatives. Mais « il ne s’agirait pas de mélanger addiction et transgression », prévient le Pr Lejoyeux qui rappelle que l’addiction n’est pas criminelle. Pour le Dr William Lowenstein, directeur de la clinique Montevideo (banlieue parisienne), spécialisée dans le traitement des addictions, il faut bien différencier la séduction, l’obsession et l’addiction, même s’« il n’y a pas de cloisonnement parfait entre les différents états ». La séduction, dit-il, c’est « la conquête et l’envie du désir de l’autre », à l’opposé de l’agression. L’obsession se manifeste souvent par crises, déclenchées par un événement ou un traumatisme. « Alors toute la tension psychique est orientée vers la génitalité ». L’addiction sexuelle enfin provoquerait la perte du contrôle rationnel, avec des modifications neuro-fonctionnelles majeures. « La volonté va perdre son rôle de chef d’orchestre du comportement, et savoir que ce n’est pas bon pour la santé, la vie sociale ou professionnelle ne suffit plus à modifier le comportement », selon le Dr Lowenstein. Elle toucherait 3 à 6 % de la population adulte, à 84 % des hommes, indique une étude du Pr Florence Thibaut, de l’INSERM.

Séduction et pouvoir.

Comme ses confrères, le Pr Lejoyeux met en garde contre les amalgames. Il estime, de fait, que les hommes de pouvoir sont des séducteurs. « Ce sont des élus et on élit que ceux qui nous séduisent soit intellectuellement, soit politiquement, soit idéologiquement. Il y a deux choses qui caractérisent l’homme politique en général, c’est le fait d’être en interaction avec l’autre et d’une certaine manière d’être dépendant du désir de l’autre. Ce qui peut arriver de plus grave à un homme politique, c’est de laisser indifférent. Le pouvoir est aujourd’hui un des grands déterminants de la médiatisation. Peu de gens sont aussi médiatisés que le sont les hommes au pouvoir », souligne-il. De son côté, le Dr Roland Coutanceau, psychiatre et criminologue, évoque la possibilité de dérapages dans la séduction, avec la volonté « de conclure dans l’instant » mais « la plupart des délinquants sexuels ne sont pas de séducteurs », conclut-il.

 STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8965