Les 10 ans du Fonds mondial de lutte contre le sida

Le départ du Pr Michel Kazatchkine inquiète

Publié le 30/01/2012
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Crédit photo : S TOUBON

« PASSION ». Après son élection - difficile - à la tête du Fonds mondial en 2007, le Pr Michel Kazatchkine avait évoqué sa passion pour une institution « unique » et originale par son mode de fonctionnement notamment au niveau de son conseil d’administration où donateurs et bénéficiaires sont représentés à parts égales, « le représentant des personnes vivant avec la maladie ayant le même poids au vote » qu’un pays comme les États-Unis, premier contributeur du Fonds. De plus, les programmes soumis à l’approbation ne sont pas imposés par le Fonds mais élaborés par les pays bénéficiaires eux-mêmes. Cinq ans plus tard, dans sa lettre de démission, il l’affirme encore : « Dix années durant, le Fonds mondial a été l’objet de ma passion autant que mon engagement le plus important ».

Un rôle déterminant.

Son parcours en témoigne. Le Pr Kazatchkine, alors directeur de l’Agence nationale de recherches sur le sida, fait partie du groupe de travail chargé d’en définir la structure et les principes de base lorsque le principe d’un fonds international a été accepté par les chefs d’États réunis lors du sommet des chefs d’État sur le sida à Abuja (Nigeria) en avril 2001. En janvier 2002, le Fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose est créé, le Pr Kazatchkine devenant le premier président du Comité technique chargé d’examiner les projets des pays bénéficiaires. Il occupera ensuite pendant deux ans (2005 et 2006), les fonctions de vice-président du Conseil d’administration avant d’être élu à la tête de l’institution. Sous son impulsion, le Fonds deviendra la principale source de financement des programmes de prévention et de traitement des trois maladies les plus meurtrières dans les pays en développement. « Rares sont les personnes qui ont eu un rôle plus déterminant que celui joué par Michel dans la création et l’évolution du Fonds mondial », a reconnu le président actuel du Conseil d’administration, Simon Bland. Depuis 2002, le Fonds a permis le traitement contre l’infection à VIH de 3,3 millions de personnes, contre la tuberculose de 8,6 millions de patients et il a aidé à la distribution de 230 millions de moustiquaires imprégnées en prévention du paludisme. Le Pr Kazatchkine souligne qu’en 2007, seulement 600 000 personnes bénéficiaient d’antirétroviraux.

L’hommage rendu par le président du Conseil d’administration cache mal les tensions qui secouent l’institution depuis quelques mois. La crise économique est passée par là. En 2011, le Fonds a fait appel à un groupe indépendant pour réexaminer les procédures de financement et de contrôles dans les pays bénéficiaires. Le 21 et 22 novembre dernier, le conseil d’administration approuvait un plan visant à mieux gérer les moyens mis à disposition par les donateurs et nommait un Directeur général chargé de mener la réforme et d’en référer directement au Conseil d’administration. Un désaveu pour le Pr Kazatchkine. « J’ai longuement réfléchi », souligne-t-il. « J’en suis venu à la conclusion qu’il m’était impossible, dans ces circonstances, de rester à mon poste de directeur exécutif », poursuit-il. Sur RTL, il confiera, « Il ne peut y avoir deux têtes dans une organisation ». Au passage, Michel Kazatchkine balaye les rumeurs selon lesquels le non respect des procédures d’appel d’offres lors de la campagne Born HIV Free lancée en 2010 avec Carla Bruni Sarkozy, ambassadrice du Fonds, aurait précipité son départ. Le conseil d’administration a également démenti ces accusations.

Contexte de crise.

En revanche, dans sa lettre, le Pr Kazatchkine reconnaît les difficultés « aussi nouvelles que redoutables » que fait peser l’environnement économique sur les efforts internationaux en matière de développement. « L’équilibre des pouvoirs se fissure et l’on assiste à un réalignement des pays et des institutions actrices du processus décisionnel », souligne-t-il. Les premiers contributeurs du Fonds, les États-Unis et certains de leurs alliés soutiennent la réforme et ont poussé à la nomination du nouveau directeur général, Gabriel Jaramillo, ancien président général de Sovereign Bank. « Il offre un profil exceptionnel et correspond exactement à ce que nous recherchons en ce moment : un gestionnaire de premier ordre et un dirigeant qui a fait ses preuves dans le monde de la finance », précise le président du conseil d’administration. Gabriel Jaramillo devrait prendre ses fonctions le 1er février pour une durée de douze mois.

Michel Kazatchkine qui va quitter ses fonctions le 16 mars prochain, exprime son inquiétude quant aux réformes et à la réduction déjà prévue de 2,2 milliards de dollars sur 3 ans des ressources du Fonds. Les associations, elles aussi sont inquiètes. « La primauté des besoins des malades face aux considérations - budgétaires ou fiduciaires - est la condition sine qua non de l’efficacité sanitaire du Fonds mondial », relèvent AIDES et Coalition Plus. Les deux associations qui évoquent « une bataille feutrée, mais brutale, entre administrateurs », ajoutent : « Si ce principe devait être remis en question ... c’est le Fonds lui-même qui cesserait de présenter le moindre intérêt ».

Le Pr Kazatchkine a reçu le soutien du ministre des Affaires étrangères Alain Juppé qui a salué son « travail remarquable ». L’ANRS a, pour sa part, indiqué : « Le combat contre le sida au niveau international a encore besoin de la compétence et de l’engagement de Michel Kazatchkine ».

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9074