MÊME LES HISTOIRES qui ne nous semblent pas inconnues, de la découverte du stéthoscope par Laennec à la traumatisante saga du sang contaminé par le VIH administré aux hémophiles, en passant par celle d’Ignaz Semmelweis et ses observations sur la transmission manuportée de l’agent de la fièvre puerpérale, apparaissent sous un jour nouveau et parfois inattendu sous la plume de Patrick Berche et de Jean-Jacques Lefrère. Celles dont on a moins parlé surprendront d’autant plus les lecteurs que chaque récit fourmille de détails stupéfiants ou édifiants, de références historiques et littéraires et permet d’en apprendre autant sur la médecine et la science que sur ceux qui la font ou sur la société qui les produit.
Des histoires individuelles.
Pour être scientifique, on n’en est pas moins homme. Plus ou moins malheureux ; en témoigne, par exemple, la vie du Norvégien Gerhard Hansen, découvreur du bacille de la lèpre, qui perdit toute sa famille de cette maladie et à qui son confrère Neissen chercha à voler la vedette et la postérité. Ou l’on n’en est pas moins doté d’une intégrité morale à dimension variable ; en témoigne la vie du virologue américain Gadjusek. Le futur prix Nobel (1976) séjourne chez les Papous dans les années 1950-1960, y apprend une dizaine de dialectes pour mieux comprendre l’épidémie de kuru qui sévit chez ces indigènes cannibales et démontre la transmissibilité de ce qui se révélera être une encéphalopathie spongiforme. Pourtant, ce nobélisé de médecine et de physiologie a des mœurs peu recommandables et aura une fin de vie moins glorieuse : revenu passer sa retraite aux États-Unis, il sera condamné pour pédophilie sur des garçons ramenés des îles Pacifique et adoptés par ses soins, mais mourra en 2008 sans avoir jamais confessé le moindre remord sur ses actes.
Pour être médecin, on n’en est pas moins parfois une femme. En témoigne l’histoire d’Agnodice, jeune accoucheuse élève d’Hérophile, contrainte de se travestir en homme pour pouvoir exercer cette profession interdite aux femmes sous peine de condamnation à mort, vers 300 avant notre ère à Alexandrie, ville pourtant pionnière dans l’histoire de la médecine. C’est là en effet que, pendant une cinquantaine d’années, furent autorisées, sous l’impulsion de Ptolémée, les premières ouvertures de corps humains (et les dernières avant la Renaissance) par des anatomistes célèbres comme Hérophile et Erasistrate.
Pour être pionnier en anatomie, on n’en est pas moins parfois barbare. En témoigne la pratique, par ces deux Alexandrins, de vivisections sur des condamnés vivants, vivement blâmée peu après par l’écrivain grec Celse.
Folie ordinaire et génie de l’invention
Que le lecteur se rassure, on sourit aussi avec l’ouvrage de ces deux érudits et l’insolite le dispute souvent à l’inédit. L’histoire du zouave Jacob, guérisseur autoproclamé, pratiquant la « persuasion autoritaire » avec une mise en scène aussi savoureuse qu’efficace, à travers une sorte de psycho-hypnothérapie préfigurant les rites des évangélistes d’aujourd’hui est un régal de lecture. L’histoire de ce soldat de Napoléon III qui, alors que Paris manifeste sa foi dans le progrès à travers l’Exposition universelle, exploite avec succès l’obscurantisme le plus sommaire et attire des milliers de « patients » venus chercher son fluide rue de la Roquette, rappelle les paradoxes des sociétés les plus modernes.
Celle de Brown Sequard, dont tout le monde connaît les mérites neurologiques avec la fameuse paralysie qui porte son nom, mais dont on connaît moins l’obsession pour l’opothérapie, destinée à retrouver vigueur et jeunesse sexuelle, et encore moins les habitudes d’auto-expérimentation, en dit également long sur le genre humain ! Ce voyageur impénitent et jamais rassasié, cet inventeur maniaque expérimentait en effet sur lui-même ses inventions thérapeutiques et mit plus d’une fois sa vie en péril en s’injectant des extraits de testicules animaux, en avalant des déjections cholériques ou en s’enduisant de substances imperméables à l’air et aux liquides. Ironie du sort, il est mort un 1er avril mais son décès continue à apparaître dans les dictionnaires comme datant du 2 avril !
Patrick Berche, Jean-Jacques Lefrère, « Gloires et impostures de la médecine », Perrin, 390 pages, 22 euros.
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