La pendule du service des urgences de l’hôpital François-Dunan affiche 11 heures. Une salle d’attente vide, un silence anesthésiant. Seul le chuchotement du personnel de garde rassure. Il y a bien de la vie, c’est juste qu’aucune vie n’est pour l’heure en danger. Dehors, la froidure du printemps n’en finit pas. Le thermomètre hiberne bien en dessous de zéro, vent et verglas enserrent l’archipel et l’océan, à deux pas des fenêtres, pavoise écumant et puissant.
Des urgences jamais saturées, il faut venir à Saint-Pierre et Miquelon pour voir ça, à 4 500 km de Paris. « Cette impression qu’il ne se passe rien peut être la première quand on arrive, reconnaît Eric Sanzalone, le directeur de l’hôpital. Cet établissement, complètement neuf depuis 2013, est une structure de grande qualité, bien supérieure à de nombreuses régions en métropole plus peuplées. Notre activité, pour une population de 6 100 habitants, ne souffre donc pas d’engorgement d’où ce sentiment de calme. »
Un professionnel pour 25 habitants
C’est l’illustration concrète du principe de continuité et d’égalité territoriale en outre-mer : la métropole et ses terres éloignées doivent être aussi bien soignées. Même mieux ? En juin 2014, un rapport de la Cour des comptes sur la santé dans les outre-mer a diagnostiqué une excellente forme de l’archipel : « La petite collectivité de Saint-Pierre et Miquelon bénéficie (…) d’une infrastructure de santé sans équivalent outre-mer. On y dénombre un salarié du secteur sanitaire et médico-social pour 25 habitants (contre environ un pour 35 habitants en France entière). »
Autre taux confortable : la densité en généralistes sur l’archipel atteint 142,6/100 000 (138,6 en métropole en 2012) et 237,7 en comptant les urgentistes du Centre hospitalier. En effet, au-delà de l’hôpital qui offre des soins de second recours et des consultations de spécialistes, la population bénéfice d’une médecine de ville à travers le Centre de santé, géré par la Sécurité sociale locale, la Caisse de prévoyance sociale (CPS). Là, exercent huit généralistes, des kinés, dentistes, infirmières… Côté libéral, un généraliste, un kiné, un pharmacien, un psy, deux podologues, deux ostéopathes.
Un paradis sanitaire ? C’est tout le paradoxe. Car derrière les chiffres, le bilan est bien plus contrasté. Depuis des années, la santé est un sujet sensible. Socialement, politiquement, publiquement, les lésions sont sérieuses. En cause : la difficile concertation et le chevauchement des compétences des instances sanitaires locales, hôpital, CPS et Administration territoriale de santé (l’équivalent local de l’ARS).
Effets secondaires
Avec, en cascade, des effets secondaires : opacité des évacuations sanitaires (Evasan) vers le partenaire canadien à Terre-Neuve ou la métropole, turn-over des médecins malgré des conditions salariales avantageuses, lourd conflit social à l’hôpital en 2014. Ou encore l’explosion du coût de santé (le plus élevé de l’outre-mer, 5 861 euros par habitant en 2012 contre 2 806 euros en métropole), le lâchage (voire lynchage) sur les réseaux sociaux contre certains praticiens… « L’archipel semble idyllique de loin, résume un jeune médecin qui préfère rester anonyme. Mais ici, du fait de l’insularité, du peu d’habitants, on est sans cesse sous observation ! La rumeur va aussi vite qu’un méchant virus. C’est dur car le système est grippé par les problèmes de personnes alors que nous avons, en structure, de quoi bien fonctionner. J’ai parfois déconseillé à des confrères de venir. »
Une situation houleuse que le député Stéphane Claireaux et le mouvement Cap sur l’avenir, présidé par Annick Girardin, actuelle ministre de la Fonction publique, ont exposée en avril à Marisol Touraine, ministre de la Santé. « Il est vraiment temps de crever tous ces abcès, s’indigne l’élu. Nous demandons, avant cet été, des états généraux de la santé pour que tous les acteurs soient mis autour de la table. Le désordre institutionnel pèse sur la santé des habitants qui souffrent d’un système sans lisibilité, déshumanisé, injuste. »
En attendant le check-up ministériel, les praticiens s’accrochent. Comme le Dr Karim Abdelmajd, le seul gynécologue-obstétricien en poste à l’hôpital depuis cinq ans. Il croit aux projets : « Par exemple, il manque un service de pédiatrie qui pourrait prendre en charge les prématurés et suivre les enfants. Là, faute d’un tel service, nous sommes obligés de transférer les cas difficiles vers l’hôpital de Terre-Neuve. Il n’y a pas non plus de service de planning familial, peu de sensibilisation auprès des scolaires… Il y a de quoi faire ! Le lien avec le CHU de Rennes devrait nous y aider. » Les secteurs de la santé mentale ou de la vieillesse manquent également de professionnels.
De quoi faire, aussi, du côté des coûts. Certains évoquent un tourisme médical à inventer avec des prestations (comme la chirurgie plastique) pour des patients nord-américains. Alors si c’est bien calme aux urgences, les perspectives pour améliorer le système patientent en salle d’attente. Seule inconnue : la table d’opération réunira-t-elle tous les acteurs du secteur ?
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