MOINS DE deux mois après son démarrage, l’essai ANRS-IPERGAY est au cœur d’une polémique lancée par une association toulousaine. ASIGP-VIH (Association de suivi et d’information des gays sur la prévention du VIH) a été créée pour que « la voix de tous ceux qui s’opposent à cet essai puisse être entendue et prise en compte », selon Stéphane Minouflet, son président et fondateur. À titre individuel, cet employé d’un sauna gay de la ville de Toulouse a participé à la consultation communautaire qui a précédé la mise en œuvre de l’étude IPERGAY. La consultation ne l’a pas convaincu de « l’utilité d’un nouvel essai » pas plus lui que ceux auprès desquels il a relayé et mis en débat l’information. Aujourd’hui, il dénonce en particulier le recours à un placebo, affirmant que « la science n’est pas une roulette russe et les gays ne sont pas de la chair à canon ! ». Une première pétition lancée le 16 mars auprès de la population toulousaine aurait recueilli plus de 120 signatures et est désormais disponible sur le site internet de l’association. « L’objectif est d’atteindre le nombre symbolique de 300 signatures et de les communiquer au ministre de la Santé », explique son président.
Un comité associatif.
Pour le Pr Jean-Michel Molina, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis et principal investigateur de l’essai, la réaction d’ASIGP-VIH reste isolée. « Un essai comme celui-là ne pourrait se faire si on n’avait pas le soutien de la communauté gay », explique-t-il. L’association AIDES est partenaire du projet et, pour la première fois dans l’histoire de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), un comité associatif indépendant a été mis en place. « Il ne prend pas position pour ou contre mais est en permanence informé de ce qui est fait et donne son avis », précise le Pr Molina. Dans le protocole de l’étude, le comité associatif n’a pas de rôle décisionnel mais est là pour : « émettre un regard critique sur l’essai, son déroulement et sa mise en œuvre ». Une vingtaine d’associations de lutte contre le VIH/sida et LGBT de Paris-Ile-de-France et de province, compose le comité. « Des associations ayant historiquement des orientations divergentes voire opposées travaillent ensemble, afin de représenter au mieux les intérêts des gays », soulignent ses membres. « Le comité est ainsi particulièrement vigilant sur la communication autour du placebo et sur le fait que les messages diffusés permettent à un participant de prendre sa décision de la façon la plus éclairée possible », précisent-ils.
Traitement à la demande.
Le Pr Molina est prêt à entendre « l’inquiétude » de ceux qui comme l’association ASIGP-VIH craignent une contamination des participants pendant l’essai même s’il regrette les « propos outranciers ». « La prévention de l’infection par le VIH est un sujet difficile, admet-il. Nous visons une population particulièrement exposée. Chaque année 3 000 à 4 000 homosexuels se contaminent en France, c’est 200 fois plus que la population générale. La question est de savoir ce qu’on peut faire de plus pour r"duire les nouvelles contaminations », poursuit-il. L’essai IPrEx des National institutes of health (NIH) américain, la seule étude d’efficacité du traitement pré-exposition (Prep) menée chez les homosexuels séronégatifs dans un cadre global et renforcé de prévention, a montré que le risque de contamination par le VIH était diminué de 44 % chez ceux qui prenaient tous les jours un traitement par Truvada (association de deux molécules antirétrovirales) par rapport à ceux qui prenaient un placebo. Les résultats publiés en 2010, certes prometteurs, ne sont pas suffisants pour en faire une référence en termes de prévention. « Des consultations menées dans un certain nombre de pays européens notamment en Angleterre et en France ont conclu qu’il était prématuré de mettre en place une stratégie Prep et qu’il fallait conduire de nouveaux projets de recherche », souligne le Pr Molina. D’où l’essai IPERGAY conçu par l’ANRS, dans lequel la prise du médicament uniquement au moment de l’exposition à un risque (prise à la demande) vise à améliorer l’observance et donc l’efficacité tout en limitant les effets secondaires d’un traitement continu de même que les coûts. L’étude américaine avait en effet montré que l’efficacité était corrélée à la prise régulière du traitement.
Un bras placebo.
Comme toute recherche de ce type, l’essai IPERGAY vise donc à comparer ce qui demeure aujourd’hui la référence en termes de prévention : utilisation du préservatif, counselling, traitement des IST et de traitement post-exposition à une stratégie associant prévention classique et biomédicale. En raison de l’incertitude sur l’efficacité de la stratégie Prep, un bras « placebo » demeure indispensable. « C’est la meilleure façon d’évaluer », insiste le Pr Molina. L’autre avantage du placebo est de garantir que « les comportements restent identiques dans les deux bras. Les participants ne savent pas à quel groupe ils appartiennent ce qui évite que ceux qui reçoivent le médicament, se croyant (peut-être) à tort protéger, augmentent leurs conduites à risque », poursuit-il. Depuis le début du recrutement en février 2012 pour la phase pilote prévue dans 3 centres cliniques en France, à Paris et à Lyon, 35 volontaires ont été inclus et 8 autres sont sur le point de l’être. « Une équipe de chercheurs en science sociale travaille aussi sur le projet. Les premiers entretiens motivationnels des personnes qui se sont portées volontaires sont très encourageants, se réjouit le Pr Molina. Ces dernières ont bien compris les objectifs de l’essai et le principal motif à leur participation est de s’engager pour faire avancer la recherche et améliorer la prévention ». Par ailleurs, sur la cinquantaine de volontaires, certains ont été dépistés séropositifs alors qu’ils l’ignoraient. « C’est un des avantages de cet essai, explique l’infectiologue, de dépister des personnes qui ne se savent pas séropositives ou qui le deviennent au cours de l’essai puisque le protocole prévoit un dépistage tous les deux mois ». Et de conclure : « C’est une action de santé publique que de dépister des personnes à risque, de les informer de leur statut, de les prendre en charge et d’éviter ainsi la propagation de l’infection ».
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