Quels sont les effets neurologiques, comportementaux et moteurs du chlordécone sur les enfants ? « Nous avons des feux orange - ni verts, ni rouges », résume Luc Multigner, chercheur à l'Institut de recherche, santé, environnement et travail (Unité Inserm 1085), au regard des résultats issus de la cohorte « Timoun ». « Les nourrissons les plus exposés au chlordécone sont en bonne santé, mais ils présentent de moindres scores dans les évaluations de la mémoire récente et de la motricité fine, en particulier les garçons », explique-t-il.
Quelque 1 068 femmes enceintes, dans leur troisième trimestre de grossesse, ont été incluses dans cette cohorte entre 2004 et 2007. Parmi leurs enfants, 153 (en bonne santé, sans prématurité) se sont vus tester leur développement neurocognitif à l'âge de 7 mois.
Mémoire récente et motricité fine
En 2012, l'étude de Renée Dallaire (1)montre une association significative entre l'exposition prénatale au chlordécone (estimée par son dosage dans le sang de cordon) de nourrissons de 7 mois et la réduction du score de préférence visuelle pour la nouveauté et du score du développement de la motricité fine. Toujours à 7 mois, l'exposition post-natale, estimée par la consommation de denrées alimentaires contaminées, a été retrouvée (à la limite du significatif) associée à une réduction de la vitesse d'acquisition de la mémoire visuelle et à une réduction de la préférence visuelle pour la nouveauté.
Une autre étude de la même équipe (2) révèle chez ces mêmes enfants à 18 mois une association significative entre exposition prénatale et réduction du score estimant la motricité fine chez les garçons. Des résultats cohérents avec l'appauvrissement de la mémoire à court terme et les tremblements constatés chez les ouvriers américains de l'Usine de Hopewell, fermée en 1975.
Deux hypothèses à cela, avance Luc Multigner : l'effet hormonal du chlordécone (les hormones stéroïdiennes jouant un rôle important dans le processus de différenciation du système nerveux) et ses propriétés neurotoxiques sur le plan de la transmission du signal nerveux, le pesticide ayant la capacité d'inhiber des enzymes ATPases et à interagir avec de multiples neurotransmetteurs.
Ces « signaux subtiles » se traduiront-ils en troubles nécessitant une prise en charge clinique ? Il faudra attendre les prochaines publications des évaluations du développement cognitif, intellectuel, auditif, anthropométrique, sexuel, ou encore cardiovasculaire des enfants de la cohorte à l'âge de 7 ans. Les chercheurs ont déjà constaté l'absence de modification des préférences sexuées dans les jeux de quelque 116 petits Guadeloupéens de 7 ans, dans un article publié le 1er juillet dernier (3). « Nous espérons ensuite pouvoir étudier un sous groupe de 400 enfants à la puberté », précise Luc Multigner.
Inquiétude
Sur le terrain, « il n'y a pas eu d'alerte qui s'est avérée justifiée, constate Luc Multigner. Les spécialistes aux Antilles sont surtout préoccupés par le développement de la prévention et des outils de diagnostics des troubles neurodéveloppementaux », témoigne le chercheur. « Nous ne constatons pas de conséquences directes du chlordécone, corrobore le Pr Philippe Khadel, gynécologue-obstétricien au CHU de Pointe-à-Pitre, sans nier des signes d'inquiétudes chez les patients. Lorsqu'arrive un accident médical, la pollution et donc le chlordécone sont évoqués car l'esprit humain a besoin de trouver des causes ».
Les résultats scientifiques doivent néanmoins inciter les pouvoirs publics à réduire l'exposition des populations au chlordécone, tandis qu'une réflexion est en cours sur les messages à faire passer aux populations clés (femmes enceintes, enfants), plaident les spécialistes.
(1) R.Dallaire et al., Environnemental Research, 118, 79, 2012
(2) O. Boucher et al., Neurotoxicology, 35, 162, 2013
(3) S.Cordier et al., Environnemental Science and Polllution Research, DOI 10.1007/s11356-019-05686-x
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