Vers une offre de santé sexuelle désormais complète

À Paris, la communauté HSH en première ligne

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Publié le 19/09/2016
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cegidd

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Murs repeints de frais, larges fenêtres ouvertes sur le quartier parisien du Marais… le Checkpoint Paris dédié à l'accueil de la communauté LGBT a fait peau neuve à l'occasion de son habilitation CeGIDD (centre gratuit d'information de dépistage et de diagnostic) par l'agence régionale de santé (ARS).

Grâce à cette nouvelle étiquette, et au financement qui l'accompagne, ce centre de santé sexuelle communautaire qui restait jusqu'à présent cantonné à la prévention et au diagnostic des infections par le VIH, déploie désormais une offre de santé sexuelle complète, comprenant des TROD VIH et hépatite C ainsi qu'une consultation PrEP (prophylaxie pré-exposition) dont les premiers consultants franchissent la porte en cette chaude deuxième semaine de septembre.

Une angoisse profonde

Franck est un jeune homme ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HSH) il a des rapports sexuels avec plusieurs partenaires différents chaque mois et ne « supporte pas le préservatif » parce que « ça le fait débander », explique-t-il au médecin qui le questionne sur son mode de vie et ses prises de risques. Après une heure de discussion, la décision est prise : Franck est séronégatif, et rentre parfaitement dans la définition du public ciblé par la PrEP. Un rendez-vous est donc pris pour une première dispensation. Il reviendra ensuite au bout d'un mois puis tous les 3 mois pour un bilan sérologique complet. Lors de ses rendez-vous à M1 (un mois après l'entrée dan le programme), M4 puis tous les 3 mois. Derrière l'apparente désinvolture de Franck (le nom a été changé) se cache une angoisse profonde.

Comme tous les consultants, nous sommes accueillis par le sourire, l'accent et la barbe fournie de Robert Isaac, un accompagnateur communautaire d'origine canadienne qui a fait ses premières armes à l'hôpital Tenon (AP-HP), lors de l'essai Ipergay qui avait démontré l'intérêt de la prophylaxie pré-exposition à la demande pour réduire efficacement le risque de contamination par le VIH dans la population des HSH. « Lors du premier contact, j'essaie de comprendre, en 10 ou 15 minutes, leur démarche et leur histoire, explique Robert Isaac, qu'ils soient chemsexeurs ou escorts, tous ont en commun la peur de frôler le danger de contamination d'un peu trop près. Chez certains, la crainte est telle qu'ils n'ont aucune vie sexuelle », poursuit-il, en citant le cas d'un étudiant chinois effrayé à l'idée de contracter le VIH via l'armoire qu'il partage avec son colocataire séropositif.

Le préservatif victime de la loi du marché

La nouvelle génération post-années 2000 considère le VIH comme une maladie de l'ancienne génération et la syphilis comme un souvenir du Moyen Âge. Il existe aussi des consultants bien informés, qui n'ont pas d'autre choix que de se tourner vers la PrEP. « Nous avons des consultants d'une quarantaine d'années, qui se sentent moins attirants et qui ont peur d'être rejetés en proposant un préservatif, précise Robert Isaac. Ce sont les mêmes, très vulnérables, qui s'adonnent aux chemsex pour faire tomber les barrières. Il y a aussi les escorts que la loi du marché oblige à laisser tomber le préservatif. Il y a tellement d'offres et peu de demande que les prix baissent de plus en plus. C'est la crise alors le client décide. »

La veille de notre venue, un jeune consultant a découvert sa séropositivité lors de sa première consultation PrEP. Pour Robert Isaac, c'est un souvenir difficile qui le met au bord des larmes : « Il m'a dit qu'il avait été très déprimé pendant un an et qu'il se foutait du VIH, mais maintenant que le VIH est là… 28 ans… une autre statistique ». La décision finale de l'inclusion dans un programme de PrEP revient au médecin : « nous discutons des pratiques à risques, de l'état de santé général, des effets secondaires potentiels et des éventuelles complications, notamment rénales, des modalités de suivi et de surveillance, de la vaccination hépatite B et hépatite A, énumère le Dr Axelle Romby médecin auprès du Checkpoint, de la mairie d'Aubervilliers et de la DGS, en dehors des patients dont on découvre la séropositivité, quelqu’un qui ne prendrait pas du tout de risque et qui serait dans une demande irrationnel serait recalé et redirigée vers des soins qui relèvent des problématiques de santé mentale. » Autre argument médical important : le taux de créatinine révélateur de l'état de la fonction rénale. De nombreux hommes de la communauté HSH prennent des protéines pour se muscler, ce qui fausse les résultats.

Le centre est autorisé à dépister 1 100 personnes par an lors des 12 heures d'ouverture en tant que CeGIDD, un chiffre bien inférieur aux 3 000 à 4 000 visites qui avaient lieu avant l'habilitation. « Nous ne voulons pas perdre cette file active, explique Nelly Reydellet, nous continuons donc à faire du TROD VIH au cours des autres plages horaire pendant lesquelles nous ne sommes pas CeGIDD. Sur ces périodes-là, nous fonctionnons grâce à l'aide du Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaires (FNPEIS) qui nous autorisera peut-être l'année prochaine à faire du TROD Hépatite et proposer des autotests VIH ».

Un dépistage plus rapide et complet qu'en ville

Les consultants qui se présentent pour une consultation PrEP ou un dépistage, sont invités à faire eux-mêmes leurs prélèvements dans les toilettes contiguës à une petite salle contenant une machine de biologie délocalisée. « On a les résultats chlamydia et gonocoque en 90 minutes contre 5 jours en laboratoire de ville, explique Nelly Reydellet directrice adjointe du Checkpoint, et à la différence des laboratoires de ville où l'on ne rembourse que sur 1 site de prélèvement, nous pouvons faire des analyses gratuites sur 3 sites : orale, anale et dans les urines. » Les résultats doivent cependant être validés par les biologistes de Lariboisière en 90 minutes avant d'être envoyés par texto avec les résultats complets de la sérologie.

Avant l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, dans laquelle est inscrite la mise en place des CeGIDD, les discussions entre la DGS et les organisations comme le Kiosque ou le 190 (tenu par Sida info Service) se sont heurtées à la taille de ces structures jugée trop petite par la DGS. La situation a été débloquée par le rapprochement du groupement Paris 10, Lariboisière, Saint Louis et Fernand Widal, et grâce à l'action du Dr Rondy qui explique que « l'assise hospitalière permet de bénéficier du plateau technique hospitalier, de faire des bilans complets alors qu'on était avant contenu aux TROD VIH ».

Extensions aux Hépatites

En tant que centre de santé communautaire, le Checkpoint n'était pas autorisé à réaliser des tests de dépistage du VHB ou du VHC. Il a fallu ruser en participant à l'étude CUBE organisée par l'ANRS. « À la fin de ce projet de recherche, nous avons dû arrêter du jour au lendemain de dépister les hépatites », explique Nelly Reydelllet. Nous avons l'autorisation d'être ouverts en tant que CeGIDD 12 heures par semaine, et de dépister 440 personnes par an, soit 10 fois moins que lors de l'essai Cube.

Les médecins sont donc obligés de sélectionner les patients les plus à risques : ceux qui ont eu plus de 10 partenaires au cours des 6 derniers mois, qui ont eu une IST au cours des 6 deniers mois, dont les symptômes évoquent une primo-infection, qui pratique le chemsex ou dont le statut vaccinal n'est pas certain en ce qui concerne le dépistage du virus de l'hépatite B.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9518