PATRICK ZYLBERMAN propose de réfléchir au lien entre crises sanitaires et crises politiques. Un thème dont l’écho résonne avec une plus grande acuité en période de crise. En 1929, Emil Eugen Roesle avait étudié les incidences du chômage sur la tuberculose. Quelques années plus tard, en 1948, l’historien de la médecine germano-américain Erwin Ackerknecht avait établi des corrélations entre politique sanitaire et régime politique. « Les régimes autoritaires recourent selon lui volontiers aux quarantaines, cordons sanitaires, détentions… Tandis que les régimes libéraux marquent une préférence pour des mesures moins coercitives telles que l’hygiène publique et l’assainissement urbain », expose Patrick Zylberman.
Les scandales sanitaires ont parfois eu des retentissements colossaux sur l’administration, son organisation et sa crédibilité. Patrick Zylberman énumère six événements clés : l’usage du Distilbène entre 1950 et 1977 et de la thalidomide ont eu un impact sur la Direction de la pharmacie et du médicament, l’hormone de croissance contaminée a entraîné une réorganisation de l’Institut Pasteur et la création de l’Agence du médicament, l’affaire du sang contaminé a sonné le glas du Centre national de transfusion sanguine, qui a été remplacé par l’Agence du sang, la « vache folle » a donné naissance à l’AFSSAPS – héritière de l’Agence du médicament -, l’AFSSA et l’InVS, et la canicule de 2003 à une nouvelle réforme du système des agences. Les réformes consécutives à une épidémie mal maîtrisée ne sont pas nouvelles en elles-mêmes. L’épidémie de grippe « espagnole », première pandémie grippale du XXe siècle, a par exemple entraîné en France la constitution du ministère de l’Hygiène.
Force est de constater que ces décisions interviennent toujours après-coup. Signe que les précautions ne sont pas toujours prises à temps. Ce fut le cas durant l’été caniculaire de 2003. Accusée de ne pas avoir vu venir la hausse subite de la mortalité des seniors, la classe politique est secouée par la polémique. La France des hôpitaux est en état de guerre, les morgues sont pleines, 40 % des lits sont occupés par les victimes des chaleurs excessives. Les services de l’État s’enlisent dans la crise. L’urgentiste Patrick Pelloux, « le siffleur d’alerte » comme le surnomme Patrick Zylberman, et Claude Évin montent au créneau dénonçant les atermoiements du ministère de la Santé qui a tardé à déclencher le Plan Blanc. Une question obsède les responsables et les observateurs : pourquoi l’État n’a-t-il pas été en capacité d’anticiper l’événement ? Patrick Zylberman compare la question de la santé à celle du terrorisme. Pour lui, la situation du ministère de la Santé est « exactement la même que celle de Bruxelles à la suite des attentats de Madrid ». La veille permanente est instituée comme une règle. Un dogme qui n’empêche pas la très vive politisation du débat.
Le pouvoir médical contesté.
« Le politique échappe parfois au gouvernement. » C’est ce qui est arrivé avec la pandémie grippale A(H1N1). La cellule de crise s’est mise en marche sans « étancher la soif d’information du citoyen ». La pénurie d’informations a engendré « un certain malaise », comblé en partie par la rumeur. Les théories du complot se forment les unes après les autres : des accusations de génocide circulent sur le Net, complot du FMI… « La communication imaginaire » fonctionne à plein régime. Dans le passé, des complots jésuites ou maçonniques ont par exemple été évoqués lors des épidémies de peste. Récemment, les Américains se sont enquis du risques liés au terrorisme, « le nouvel ennemi universel », qui pourrait prendre pour cible la sécurité sanitaire. « C’est une vision apocalyptique de l’histoire. Les théories du complot aboutissent à une nouvelle science : la démonologie », soutient l’historien. « Notons que la nature des boucs émissaires a connu un changement crucial à partir du choléra du XIXe siècle : réservé jusqu’alors aux minorités religieuses ou aux pauvres, ce rôle peu enviable échoit à ce moment aux autorités et aux médecins eux-mêmes. »
Dans le passé, le pouvoir médical fut d’ailleurs violemment contesté. En 1832, 1884, des attaques contre des médecins et des hôpitaux furent recensées dans plusieurs villes françaises et européennes à la suite de l’épidémie de choléra. La violence atteint son paroxysme en 1892, quand un médecin de la région de Saratov est battu à mort. Pour l’historien, la médicalisation de nos sociétés a repoussé de fait ces réactions extrêmes mais n’a pas empêché « le scepticisme ou l’hyperscepticisme », auquel, affirme-t-il, des personnels de santé participent activement.
Dans la crise du virus H1N1 en 2009, ce sentiment de défiance s’est très largement manifesté contre le vaccin : « Dans nos esprits, on s’est dit que s’il n’était pas obligatoire, c’est qu’il n’était pas nécessaire. »Patrick Zylberman rejette l’hypothèse d’un conflit d’intérêts entre l’OMS et les laboratoires pharmaceutiques évoquée par certains. « L’OMS avait élevé au niveau 6 le risque de la pandémie le 11 juin après que les gouvernements aient passé commande. » À un médecin qui l’interrogeait en fin de conférence sur le sujet, l’historien a fermement rétorqué : « Je suis désolé de répondre si abruptement, mais la réponse est non. C’est une grave erreur. Les faits sont là. » Pas de complot mais un déficit stratégique patent : « En revanche, si vous me demandez si ces commandes ont l’effet d’une rustine. Je réponds oui. Les réformes administratives se font au coup par coup. Contrairement au joueur d’échec, on ne pense pas au coup d’après. »
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