LE QUOTIDIEN - À travers des mesures très médiatisées ou le financement de certaines études la grande distribution se présente de plus en plus comme le défenseur des consommateurs. A priori, la demande ne peut être que bien accueillie. Dès lors, pourquoi vos réticences ?
Pr JOSETTE DALL’AVA-SANTUCCI - Je ne me prononcerai pas sur la récente controverse concernant l’étude suggérant la nocivité des OGM car je ne connais pas bien ce sujet. Par contre, je m’interroge beaucoup sur la campagne, menée par Système U, pour le bannissement de certains produits, en particulier de l’aspartame.
Pourquoi ?
En général je me demande si c’est le rôle des entreprises commerciales de donner le la, en matière de santé publique et de prévention. Et si elles le font, il faut se demander pourquoi elles le font : mécénat désintéressé, opération marketing surfant sur la vague actuelle de grande peur alimentaire ? En tout état de cause je pense que les démarches simplificatrices et tonitruantes peuvent faire plus de mal que de bien, comme le montre le cas de l’aspartame.
Que voulez-vous dire ?
En tant que physiologiste, « médecin du bien portant qui veut le rester », je pense qu’il n’est pas responsable de bannir une molécule qui s’avère de plus en plus utile pour combattre l’épidémie d’obésité, en particulier chez les jeunes. En effet, l’hypothèse d’un phénomène de compensation sucrée, même si elle est très probable chez les diabétiques et les obèses, n’est pas du tout démontrée chez le sujet normal. Chez les diabétiques une prise en charge adaptée utilisant les édulcorants permet de prévenir les diabètes des 2e, 3e et 4e générations. Des campagnes simplistes risquent de remettre tout cela en cause.
Oui mais il y a des doutes sur l’innocuité de l’aspartame ?
Ces doutes sont alimentés par quelques études isolées, très médiatisées, mais qui, à elles seules, ne peuvent constituer une évidence scientifique : ce serait de la fausse science. Cela ne doit pas faire oublier que depuis sa commercialisation en 1974, l’aspartame est l’additif alimentaire le plus suivi, pour lequel on dispose de plus de 600 données et plus de 110 études publiées. Ces informations ont été régulièrement analysées par les agences du monde entier et en particulier l’agence européenne EFSA.
Les conclusions sont claires et rassurantes : pas de risque génotoxique de mutagénèse ; études négatives de cancérogénèse chez les rongeurs ; surtout suivi à long terme de très nombreux patients. Il n’est pas responsable de remettre en cause ces conclusions, en se substituant ainsi aux agences qui sont en charge de la sécurité alimentaire. Il faut donc se méfier d’un marketing négatif surfant sur la vague de remise en cause de toutes les agences et des experts, en généralisant abusivement certains dysfonctionnements observés.
De plus l’atteinte à la liberté individuelle est patente puisque le consommateur n’a plus le choix dans certaines grandes surfaces : en le privant unilatéralement d’un produit utile, (l’aspartam) il est probable qu’il se tournera tout naturellement vers le sucre.
Que souhaitez-vous ?
Que d’un côté on surveille de mieux en mieux les additifs alimentaires, avec une transparence accrue. Mais si l’on veut que cette évolution soit positive et n’aboutisse pas à un nihilisme populiste, il ne faut pas monter en épingle des études isolées contredites par des analyses globales bien menées par des experts indépendants. J’ose dire que cette mode du « tous pourris » ne sert pas le consommateur, au contraire et qu’il est perturbant de voir des enseignes commerciales se comporter comme des professionnels de santé en mal de reconnaissance ou comme des journalistes succombant aux délices du sensationnalisme.
* Professeur émérite, Université René Descartes (Paris V). Physiologie
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation