Courrier des lecteurs

Quel respect pour le professionnel de santé ?

Publié le 10/11/2016
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Les films de Pagnol décrivaient à merveille la société française du début du XXe siècle. On pouvait noter le respect des Français vis-à-vis du curé (présenté comme un sage), l’instituteur (qui était le pilier de l’instruction). Il est vrai que le médecin était rarement présenté, ou toujours sous un angle de grand professionnel. Il était toujours tiré à quatre épingles, et le patient l’écoutait sans broncher avec beaucoup de déférence.

Cette image a beaucoup changé de nos jours. Les curés ont presque disparu, et ne sont plus écoutés, les instituteurs ont perdu de leur prestige, et les médecins doivent faire face à de nombreux maux d’une société en pleine mutation.

Ainsi, nous avons pu remarquer depuis quelques semaines de nombreux articles dans la presse professionnelle faisant état de violences (verbales ou physiques) à l’égard de praticiens.

Sur Tourcoing, une rixe aux urgences d’un hôpital a conduit certains professionnels de santé à se faire traiter pour des violences physiques. Sur Montpellier, une consœur a été menacée par un couple car elle avait demandé le respect de la confidentialité au sein de son cabinet ; confidentialité mise à mal par l’intrusion intempestive d’un enfant qui voulait récupérer des jouets. Sur Châtellerault, une praticienne a dû faire face à des violences physiques de la part de parents qui ne supportaient pas le retard de cette collègue. Sur Saint Étienne un médecin a été menacé de mort par un accompagnant… Toutes ces incivilités ont été relatées ce mois-ci par les médias professionnels (peu ou pas de développement dans la presse généraliste).

Comment de telles exactions sont exposées au grand jour, alors qu’auparavant cela était exceptionnel ? En fait, tout comme pour les policiers, les professionnels de santé sont excédés, et commencent à s’exprimer. Nombreux sont les confrères agressés qui préféraient garder pour eux les affronts qu’ils avaient essuyés. Communiquer ce malaise à un tiers, c’est aussi une façon de rendre publiques ses propres craintes. De plus, nombreux sont ceux qui pensent que se confier ne va aboutir qu’à essayer de se rassurer, et n’aura aucun impact sur d’éventuelles condamnations (qui se bornent souvent à des sursis), ou des actions futures pour améliorer leur quotidien.

Cependant, plusieurs ont passé cette barrière, et ont vaincu leur appréhension (il est difficile de revivre une situation traumatisante à laquelle nous ne sommes pas habitués). Ils ont décidé de parler de cette problématique récurrente au sein de nos villes, mais aussi de nos campagnes.

Le plus curieux en ce qui concerne les faits exposés ce mois-ci, c’est le fait que les auteurs de ces exactions se sentent tout à fait dans leur bon droit (certains n’hésitant pas à porter plainte). En fait, tous ces faits dénotent bien le mal terrible qui touche notre société : la disparation de la notion de valeur. Cette dérive inquiétante, n’est pas le fruit du hasard, mais plus d’une déliquescence d’un système.

L’État doit être exemplaire dans l’application des valeurs républicaines, et le respect des lois. Or nous remarquons de manière régulière, des faits divers impliquant des dirigeants politiques de haut rang. Ces derniers (qui devraient montrer l’exemple à nos concitoyens) n’hésitent pas à contourner un système qu’ils devraient défendre, et promouvoir. Plus grave est le traitement de l’information à leur égard qui devient de plus en plus réaliste, et de ce fait de moins en moins complaisant. En tenant compte de cet éclairage, nous pouvons très bien comprendre les raisons qui poussent notre ministre de tutelle à ne pas réagir vis-à-vis de ces violences inadmissibles. En effet, cette dernière s’attache à organiser son avenir politique, et celui de son pygmalion. De ce fait elle ne sent pas concernée par le rôle qui lui a été confié, et tente de désamorcer les conflits en les ignorant.

Il est sûr que pour s’attaquer au problème des violences vis-à-vis des professionnels de santé, il va falloir écouter les collègues victimes, se rendre dans des zones sensibles où les incivilités sont omniprésentes dans la vie des acteurs de santé qui y travaillent. Cela demande plus de temps, et de réflexion qu’une simple intervention pour condamner les responsables de tels actes.

De ce fait le « Français de base » (sans être péjoratif), tout à fait conscient de ce comportement « lâche » de nos dirigeants, s’attache à ne prendre que les « bons côtés de la démocratie ». Cela lui permet d’en retirer un certain profit, et le respect d’autrui devient pour lui plus qu’accessoire. Les ministres, qui ont des fonctions en accord avec leur charge, doivent avant tout agir, montrer leur connaissance du terrain, et ne pas se complaire à parler dans le vide pour obtenir rapidement de la popularité.

L’image diffusée par les films de Pagnol, même si elle peut nous rendre nostalgique, est révolue. Aussi, à l’avenir, si nous souhaitons vivre de manière paisible et dans une société qui respecte chacun d’entre nous (sans aller aussi loin que Pagnol), nos politiques vont devoir se retrousser les manches et montrer leur détermination à être aussi honnêtes que l’ensemble des Français. Ils devront aussi agir. C’est de cette façon qu’ils peuvent montrer leur souhait d’améliorer la vie de leurs compatriotes. Ainsi, ils pourront être dignes de notre respect.

Dr Pierre Frances, Banyuls-sur-Mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin: 9533