BARBARA désigne sa poitrine, sa nuque et ses mollets. Sa douleur, elle ne connaît les mots de français pour la décrire au Dr Christophe Lamarre, occupé à prendre sa tension (à 18), assis à ses côtés sur le lit de fortune recouvert de plusieurs couvertures aux couleurs criardes. Dennis, 15 ans, scolarisé dans un collège de Roubaix, accompagne chaque geste de sa mère de quelques phrases d’explication à l’intention du médecin généraliste, sous le regard de ses deux sœurs et de son petit frère. Des dizaines de blisters de médicaments jonchent la table basse. Quelques tableaux, un miroir pour la toilette, une poignée de photos d’une vie d’avant la France et un tapis vieillot ornent les murs : vaine tentative pour humaniser la pièce.
Le Dr Lamarre n’est pas seulement le médecin de Barbara. Propriétaire de cette maison médicale abandonnée depuis quatre ans, il est aussi le logeur bénévole de cette mère Rom atteinte de sclérose en plaques et de près de 80 autres personnes délogées voilà deux mois d’un camp Rom de 250 personnes. L’histoire est à l’image du bonhomme : déconcertante.
2 500 Roms dans 38 campements.
Ce vendredi 27 septembre, le camp du Galon d’Eau, situé à deux pas du centre-ville de Roubaix, est évacué à la demande de la mairie. Même si la Préfecture met en place plusieurs mesures d’urgence (encadré), une majorité des habitants du camp se retrouve du jour au lendemain sans rien. Parmi eux, des patients du Dr Lamarre : une mère et son enfant de 13 ans atteints d’une hépatite virale chronique ; une femme souffrant de polyarthrite ; Pavel, cinq ans, tétraplégique. Choqué, le médecin met à leur disposition sa maison médicale. Situé dans le quartier de l’Hommelet, l’ancien hangar de 400 m2 a été transformé en « machine » à soigner en 1994 avant d’être désertée par le généraliste et ses confrères en 2009. «Je savais que je faisais une connerie en ouvrant mes portes aux Roms expulsés, mais dans mon esprit, c’était une solution temporaire », explique le médecin de 47 ans.
Le généraliste s’active, appelle la Ligue des droits de l’homme, cherche une solution plus conventionnelle. En parallèle, le téléphone Rom marche à plein régime. Quelque 180 personnes investissent les lieux. Aidé de la police municipale, le Dr Lamarre n’a d’autre choix que d’en déloger une centaine : « J’ai gardé les malades et les enfants ». Trois semaines de débat avec les riverains sont nécessaires pour calmer les tensions. « Je leur ai dit : si vous ne vous indignez pas, les prochains à la rue, c’est vous ! ».
À Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve d’Ascq, 2 500 Roms vivotent dans 38 campements sauvages. Ville portée par l’industrie textile jusque dans les années soixante-dix, Roubaix souffre aujourd’hui d’un taux de chômage de 28 %.
« Rester, c’était mourir ».
Pourquoi un tel geste ? Action politique, humanitaire ? Un peu des deux, accompagné d’une bonne dose de provocation. Le Dr Lamarre est originaire de Creil, dans l’Oise. Diplômé de la faculté de Lille, il achète les murs de sa future maison médicale pour 200 000 francs (30 000 euros). La population de l’Hommelet lui rappelle celle de son enfance. « Têtu », l’homme avoue agir parfois comme « un ado attardé » : « par esprit de contradiction, je voulais exercer dans ce quartier pauvre où personne ne voulait s’installer ».
Pendant quinze ans, le Dr Lamarre a soigné ses 2 000 patients – dont 80 % de personnes d’origine maghrébine – six jours sur sept, de 7 h 15 à la nuit tombée, parfois jusqu’à 3 heures du matin. Trois autres médecins généralistes (dont deux à temps partiel), trois orthophonistes – « les gamins du quartier avaient une scolarité abominable » –, deux kinésithérapeutes et un gynécologue exercent à ses côtés. Dans ce quartier sous-médicalisé, le turnover est infernal. L’un de ses associés « pète un câble ». Suicide. Un autre met les bouts et devient médecin-conseil. Le gynécologue part à l’hôpital. Le Dr Lamarre, qui reconnaît être « hyperactif », enchaîne les consultations. Il refuse de se considérer comme un « sacrifié ». Sa suractivité est la conséquence d’un choix : « J’ai mis le doigt dans le système et suis devenu la succursale des urgences de l’hôpital. L’engrenage a fait le reste ». En 2009, la Sécu harponne le médecin : 15 000 actes au compteur. Aucune fraude mais le Dr Lamarre écope tout de même de deux mois de suspension ferme pour « exercice dangereux de la médecine ». Et « fuit » finalement l’Hommelet : « j’ai fait deux crises d’épilepsie. Rester, c’était mourir ». Dans son cabinet de groupe du centre-ville, ses nouveaux associés sont ses garde-fous. Presque tous ses anciens patients l’ont suivi. « Voir dans la salle d’attente des toxicos assis à côté d’avocats et d’employés de start-ups, c’est marrant », concède-t-il simplement. Deux-tiers de sa patientèle est bénéficiaire de la CMU. En consultation, beaucoup demandent au médecin d’encaisser leur chèque de 6,90 euros le mois suivant.
Mauvaises langues.
Le Dr Lamarre se rend à son ancien cabinet médical plusieurs fois par semaine. Il soigne ses patients Roms gratuitement. S’il regrette le manque d’implication de ses confrères – « seuls deux copains généralistes m’ont passé un coup de fil » –, le médecin n’est pas seul pour autant. Les communautés catholique et musulmane du quartier comme l’association régionale d’étude et d’action sociale pour les gens du voyage (AREAS) l’épaulent. Une pharmacienne fournit gracieusement le lait dont ont besoin les enfants. Une pédiatre de Lille passe une tête régulièrement.
Originaire de Bacau, à l’Est de la Roumanie, cette jeune femme de 22 ans, mère de trois enfants, est en France depuis deux ans. La Roumanie ne peut rien pour son cadet, quatre ans, qui souffre de malformation congénitale. Elle demande au Dr Lamarre bien plus qu’il ne peut lui donner. « La dame à Lille, elle a dit bientôt maison », lui répond, plein d’espoir, ce dernier. Sans regret mais dépassé.
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