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Santé animale : la pandémie de Covid-19 était prévisible

Par Dr Charlotte Pommier - Publié le 30/04/2020
Santé animale : la pandémie de Covid-19 était prévisible


AFP

Les activités humaines nous exposent à des réservoirs animaux de virus inconnus. Une menace qui ne s’achèvera pas avec la crise du Covid-19 et qui nécessitera un suivi renforcé des écosystèmes à l’échelle mondiale. Si ce n’est leur préservation.

Bill Gates avertissait dès 2015 : « nous ne sommes pas prêts à faire face à la prochaine pandémie ». Il comparait, lors d’une conférence TEDx, l’investissement fait dans la dissuasion nucléaire à celui, inexistant, mis en place pour lutter contre les épidémies émergentes.

« Si quelque chose doit tuer des dizaines de millions de personnes ces prochaines années, ce ne sera pas la guerre, ce sera un virus très contagieux », prédisait-il, tandis qu’un virus géant apparaissait en arrière-plan. Visionnaire ? « Il y a sans doute d’autres virus extrêmement dangereux, avec lesquels nous n’avons encore jamais été en contact, qui émergeront un jour », prévient le Pr Jean-Luc Guérin, vétérinaire virologue à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (UMR INRAE-ENVT IHAP).

Un des points communs entre Ebola, dont parlait alors Bill Gates, et le virus SARS-CoV-2 qui nous frappe aujourd’hui, c’est qu’ils proviennent d’un réservoir animal*, avec lequel l’humain n’est pas habituellement en contact. C’est le même mécanisme qui a conduit à l'émergence du VIH. Ces virus circulent chez des animaux sauvages et l’humain en est préservé tant que chacun reste chez soi.

Mais, sous pression de la déforestation et à la faveur des marchés aux animaux vivants, des espèces qui n’auraient jamais dû être en contact naturellement se rencontrent, voire se retrouvent confinées par centaines, comme dans les marchés chinois. Le risque alors est de provoquer artificiellement des passages de microbes entre les animaux. « C’est quasi mathématique : quand on perturbe les écosystèmes, on augmente les interfaces et donc le risque de contact avec des agents infectieux encore inconnus de l’humain », souligne le Pr Guérin.

Franchissement de la barrière des espèces

L’humain partage et échange avec les animaux un certain nombre d’agents infectieux, on parle alors de zoonoses*. Celles-ci concernent logiquement les animaux domestiques, avec qui il est régulièrement en contact. Parmi les zoonoses, on peut citer la tuberculose, la brucellose ou la rage, autant de pathologies connues, qui bénéficient de plans de surveillance mis en œuvre depuis longtemps par les services vétérinaires en France.

Lors d’une émergence*, les choses sont différentes car il y a franchissement de la barrière d’espèce : un virus, inoffensif ou non, qui était spécifique d’un animal devient infectieux pour un autre. C’est ce qu’il s’est passé avec le SARS-CoV-2. L’humain étant un animal comme un autre, de ce point de vue, rappelons-le. « Aujourd’hui on est sûrs de deux choses : au niveau phylogénétique, ce virus est très proche de celui de chauves-souris du genre Rhinolophus, explique le Pr Guérin. C’est de là qu’il vient, même s’il y a eu probablement passage par un ou plusieurs hôtes intermédiaires, cela restant à préciser. En tout cas, le niveau de diversité génétique observé, très faible à ce jour, indique que l’événement d’émergence est très récent, et sans doute unique. Ce virus à ARN simple brin n’a pas eu le temps d’évoluer chez l’humain, ce qui suggère que le "saut d’espèce" date sans doute de fin 2019. Les analyses d’horloge moléculaire permettront de le confirmer », poursuit le spécialiste, qui considère qu’avec seulement quatre mois de recul, les avancées de la recherche dans ce domaine sont déjà immenses.

Il existe des centaines voire des milliers de membres de la grande famille des Coronaviridae. Les humains sont atteints par deux genres, les Alpha- et les Bêtacoronavirus, ces derniers étant aussi bien représentés dans la population animale. La plupart sont spécifiques à une espèce et ne se transmettent pas entre humain et animal, en particulier domestique, à l’exception notable d’un passage en 2014 du MERS-CoV du dromadaire, qui avait provoqué une épidémie dans la péninsule arabique.

Mais ce sont les animaux sauvages, et surtout les chauves-souris, qui constituent le réservoir le plus inquiétant de Bétacoronavirus SARS- et MERS-like. « Elles ont un système interféron différent de celui des autres mammifères, ce qui leur permet de contrôler ces virus sans trop de dommages, donc d’être porteuses saines sur le long terme », précise le vétérinaire virologue. Tout un virome face auquel le système immunitaire humain est totalement naïf, puisqu’il s’agit d’animaux de forêts primaires avec lesquels les interactions sont normalement inexistantes : on parle de compartiment sauvage.

Ce sont les mêmes mécanismes qui ont poussé à l’émergence du SARS, en 2003, sans doute via la civette, en tout cas raisonnablement par l’intermédiaire des marchés chinois aux animaux vivants, que le gouvernement chinois pourrait désormais envisager d’interdire. « [Ces marchés sont] une situation délirante », estime le Pr Didier Sicard, infectiologue spécialiste du VIH, qui appelait sur France Culture à y mettre un terme au nom du principe de précaution et à investiguer ces chaînes de transmission.

L’écovigilance se met en place

Prévenir les émergences impose de développer le One-Health (lire page suivante), une approche écologique des maladies, par biotopes, qui implique aussi bien médecins, vétérinaires, écologues, qu’épidémiologistes. Concrètement, cela revient à recenser la biodiversité des virus (le virome) chez les animaux sauvages et à mettre en place une surveillance des interfaces humain-animal, en particulier dans les zones de répartition de l’espèce.

Un travail titanesque qui a déjà été bien entamé depuis l’épidémie de SARS. « Des virus très proches du SARS-CoV-2 avaient d’ailleurs déjà été documentés chez des chauves-souris », note le Pr Guérin. L’étape suivante est de déterminer leur capacité de réplication chez l’humain, en étudiant l’affinité de ses protéines de surface avec des sites potentiels de liaison pour l’entrée dans la cellule. Un travail d’autant plus important qu’il doit être fait tissu par tissu, les récepteurs y étant différents. Mais les progrès de la protéomique, de la génomique et de la bioinformatique rendent possible cette massification de l’analyse. « Pour l’influenza, on est déjà capable de prédire quelle espèce d’oiseau peut être infectée par tel ou tel virus », explique le Pr Guérin (lire ci-après).

Anticiper, c'est aussi le souhait d'un collectif de 650 chercheurs qui ont appelé, dans une pétition soutenue par la Société française d’écologie, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, la fondation Nicolas Hulot, l’Institut écologie et environnement du CNRS ainsi que par 1 200 citoyens, à sauvegarder la biodiversité avant la prochaine pandémie. Si le président Emmanuel Macron a parlé de guerre, Bill Gates avait quant à lui souligné, en 2015, qu’il n’existait aucune armée de réserve d’épidémiologistes et de réanimateurs. Un investissement qui serait, selon lui, modéré, en regard du coût d’une pandémie, qui avait été estimé à 3 000 milliards de dollars par la banque mondiale.

Exergue 1 : J.-L. Guérin « Cette crise nous renvoie à notre rapport à la nature et nous rappelle que, face aux virus, nous sommes un animal comme les autres »

Exergue 2 : « Des virus très proches du Sars-Cov-2 ont été documentés chez des chauves-souris avant même son émergence »

Dr Charlotte Pommier