Suite à la décision des autorités talibanes d’interdire aux ONG de travailler avec des femmes, Sarah Chateau, responsable du programme de Médecins sans frontières (MSF) en Afghanistan, revient sur les conséquences de ce nouveau durcissement du régime l’égard des femmes.
LE QUOTIDIEN : Le 24 décembre, les autorités talibanes annonçaient leur décision d’interdire aux femmes de travailler pour les ONG locales et internationales œuvrant en Afghanistan. Quelles sont les conséquences de cette nouvelle restriction, notamment en termes d’accès aux soins des femmes ?
SARAH CHATEAU : La directive émane du ministère de l’Économie, tutelle des ONG qui leur délivre les agréments nécessaires pour exercer une activité dans le pays. Dans la foulée de cette annonce, plusieurs ONG ont suspendu leurs activités dans le pays.
Mais toutes ne sont pas impactées de la même manière. Certaines ont des partenariats avec d’autres ministères, par secteurs. C’est le cas dans le domaine de la santé. Dans le pays, MSF n’a pas le statut d’ONG par exemple, et est placée sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Sur 3 000 salariés de MSF dans le pays, on compte 1 200 femmes, dont 900 sont des personnels de santé, qui peuvent encore travailler.
L’interdiction ne concerne pas non plus les femmes étrangères. Et les femmes afghanes peuvent par ailleurs encore exercer dans les hôpitaux publics, même si leur nombre est extrêmement réduit : le pays ne compte par exemple qu’une seule femme cardiologue et aucune en chirurgie orthopédique.
Il n’en reste pas moins que cette nouvelle interdiction des autorités afghanes s’inscrit dans un processus de durcissement du régime taliban à l’égard des femmes, progressivement écartées de la vie publique. Quatre jours avant l’annonce de cette nouvelle restriction, les autorités avaient interdit aux femmes d’étudier à l’université pour une durée indéterminée, après avoir exclu les filles des écoles secondaires.
La crainte est qu’à terme, les femmes n’aient plus accès aux soins, d’autant que dans le contexte afghan, et pas seulement du fait des talibans, la mixité est un problème. Certaines femmes subissent des pressions familiales quand elles travaillent. Et, si elles ne peuvent se former à l’université, il n’y aura plus de soignantes pour prendre en charge les femmes. À plus court terme, l’enjeu est de pallier la fermeture de centres de santé, liée à la suspension d’activité de plusieurs ONG. L’activité de MSF a doublé dans le pays, mettant en péril nos capacités à couvrir les besoins.
Face à l’indignation suscitée et au retrait des ONG, les autorités afghanes sont-elles susceptibles de revenir sur leur décision ?
La suspension d’activité des ONG concernées est justifiée car il y a besoin d’un rapport de force avec les autorités pour obtenir une exemption dans le domaine de la santé. Les talibans ne reviendront pas sur leur directive, mais des négociations peuvent permettre d’obtenir des tolérances, comme c’est le cas pour le secteur de la santé. Plusieurs scénarios sont possibles, mais on s’attend tout de même à une poursuite du durcissement des mesures, avec la présence obligatoire d’un accompagnateur masculin ou une ségrégation plus dure.
Les sanctions internationales, prises à l’arrivée au pouvoir des talibans, ont fait craindre à l’époque un épisode de famine. Qu’en est-il ?
Si la famine attendue n’a pas vraiment eu lieu, le contexte économique n’en est pas moins délétère. Les sanctions internationales ont fortement réduit les fonds versés entraînant une vraie crise humanitaire. Avant cela, 75 % des fonds du pays provenaient de l’aide internationale, via la Banque mondiale. Les financements ont repris grâce aux organisations internationales et aux ONG, mais ne sont pas à la hauteur. Surtout, ils sont désormais de courte durée. Les bailleurs de fonds ne s’engagent que sur des périodes de 6 mois. C’est une situation précaire. Le système de santé ne s’est, malgré tout, pas effondré.
Qu’en est-il de la situation sanitaire du pays ?
La situation est contrastée. S’il n’y a pas de famine, on voit en revanche arriver plus de personnes malnutries. Cela peut vouloir dire que l’arrêt des combats a permis la reprise des déplacements, même s’ils restent restreints pour les femmes, et qu’on accueille désormais des populations jusque-là complètement isolées par le conflit.
L’arrêt des combats a également mis fin à l’afflux de blessés, réduisant les besoins de prise en charge en traumatologie. Mais l’offre de soins reste focalisée sur les urgences, faute de temps et de moyens. Actuellement, l’enjeu est de maintenir des capacités de prise en charge alors que le nombre d’acteurs présents se réduit. Dans une région du pays, jusqu’à 42 structures de santé ont cessé leurs activités engorgeant de fait les centres restants ouverts.
On est face à un cercle infernal, qui nous empêche par exemple de mener des actions de prévention. Alors que les épidémies se succèdent, nous ne sommes en mesure d’assurer que des campagnes de vaccination réactives, et non préventives.
Le pays reste par ailleurs confronté à l’insécurité alimentaire, à des problèmes d’allaitement et aussi, bien sûr à des problèmes de santé mentale, conséquences de la guerre.
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation