Tribune libre
NOTRE SUCCÈS dans le SIDA a reposé sur le médicament beaucoup plus que sur la prévention. Peut-on imaginer quel serait l’état du monde si nous n’avions pas les médicaments antirétroviraux ? Pour trouver ces médicaments, la clé de la réussite a été « le travailler ensemble ». Notre pays à cet égard a été un fantastique modèle : une recherche fondamentale exceptionnelle qui a permis la découverte du virus et son analyse, les efforts des industriels appuyés par les malades et leurs médecins, une recherche appliquée menée par des équipes rigoureuses, des experts qui ont su voir loin aux différentes étapes et enfin, fait exemplaire, des malades fédérés dans leurs associations devenant d’authentiques interlocuteurs exigeants. Nous avons tous été unis dans une atmosphère de respect mutuel et de transparence. La France a inspiré l’Europe et l’Europe du médicament s’est construite en partie sur le socle de l’expertise acquise pour le VIH.
Ensemble nous avons forgé une vision française de l’évaluation, définissant des règles qui se sont confrontées aux lignes directrices américaines. L’ambition thérapeutique pour les malades, la lucidité, la transparence ont toujours fait partie de notre stratégie. Quelle serait notre situation si nous n’avions pas eu ce courage qui a amené parfois à prendre des risques, certes eu égard aux bénéfices. Et les experts en ce domaine ont su anticiper. Un travail coopératif a encadré les mises à disposition précoces des médicaments, aidé par le remarquable système des Autorisations temporaires d’utilisation (ATU) qui allie bénéfice en termes de santé publique, gestion des risques et équité.
De nos jours, la vision de l’expertise est bien régressive. Après le drame du Mediator qui a révélé un système pris au piège de la période qui suit l’Autorisation de mise sur le marché (post-AMM), une réforme du médicament est en route. Mais retenons que dans le champ des maladies complexes comme l’a été l’histoire du SIDA, nous ne serons à l’abri des déboires que si nous travaillons ensemble, en amont et en aval des AMM. Ainsi, les progrès accomplis en cancérologie passent par les plateformes de génétique moléculaire qui obligent à des partenariats entre secteurs publics et privés, ceux concernant des maladies neurologiques par des centres experts situés en interface avec l’industrie. De même, ne croyons pas que nous réglerons le problème des bactéries totirésistantes sans avoir recours à des experts chercheurs qui connaissent la microbiologie fondamentale et appliquée, quels que soient leurs secteurs d’appartenance.
Au fil des progrès de la connaissance dans les sciences de la vie et de la santé, nous changeons les maladies. Elles ne sont parfois plus les mêmes entre le début du développement d’un produit de santé les concernant, et le moment où l’AMM de ce produit est accordée.
Nouvelles règles à définir.
Par ailleurs, nous devons repenser la notion de liens éventuels entre l’expertise et l’évaluation d’un produit de santé. La société le demande et elle doit être rassurée. Ainsi, la détermination de liens d’intérêt, et la chasse aux conflits d’intérêt, entre l’expert sollicité et la firme produisant le médicament ou le dispositif médical à expertiser, sont indispensables. Elles doivent être menées à bien, et il n’est pas exclu que l’on parvienne ainsi finalement à une situation d’absence totale de liens (ce qu’on peut entendre). Mais dans ce cas alors, notre système devra absolument se doter du moyen de juger du niveau de compétence de ces futurs experts, qui n’auront pas été « reconnus », du fait de leur notoriété, par les industriels. De nouvelles règles vont devoir être définies par les autorités sanitaires sur la qualité de l’expertise. Les futurs experts vont devoir d’abord s’interroger sur eux-mêmes : « en mon âme et conscience suis-je en capacité de connaissance suffisante et adaptée pour émettre un avis ? » Sans cela, nous risquons de pâtir d’incompétence, de prise de risque inconsidérée ou au contraire de frilosité de la part de ces nouveaux experts. Plus encore, les malades graves ont besoin de nouveaux médicaments et les réclament. Si l’institution a le sentiment que le recours à un expert ayant des liens d’intérêt est nécessaire pour compléter son information afin de prendre la meilleure décision, elle doit pouvoir se donner les moyens d’écouter cet expert en toute transparence mais en excluant celui-ci de la prise de décision. Si l’expertise scientifique est sacrifiée par une réforme mal pensée, la synergie d’un double lobby aura du mal à être parée : celle composée d’une part du lobby de l’industrie qui rêve de l’accès au marché, d’autre part de celui des malades qui attendent l’AMM désespérément.
La FDA et le congrès américain réfléchissent à cette problématique difficile. La France ne doit pas rester en dehors de ce débat : plus de conflit d’intérêt certes, mais plus que jamais de la compétence.
* Service des maladies infectieuses et tropicales, Faculté de médecine Paris sud, Hôpital de Bicêtre.
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