QUAND ELLE QUITTE les chambres des malades de son service de cancérologie, leurs souffrances, leurs misères et leurs humanités, le Dr Lise Ménard ne tourne pas tout à fait la page. Ou plutôt si, mais au sens propre. Elle lit et relit des romans. Cette littérature nourrit sa pratique, maintient son sens clinique en éveil, la console parfois aussi. Son armée de livres, cet ensemble de « titres élus mêlé au bazar de la vie » sont là pour « ménager des surprises et l’aider à composer avec le temps ».
La littérature me permet, explique le « docteur Lise », de trouver une beauté à ce que je fais, de la voir « chez autrui dans la présence si particulière du malade ». De fait, ses livres sont de silencieux et édifiants compagnons de route et sa bibliothèque aussi riche qu’hétéroclite est disséminée (comme le cancer, s’interroge l’anthropologue ?) partout où elle passe : dans son bureau à l’hôpital, où les livres de fiction côtoient les revues médicales, chez elle, dans sa voiture. Les livres, piochés au hasard par l’anthropologue, sur les rayons désordonnés de la bibliothèque, sont le point de départ de digressions sur la maladie, les gens, l’espoir et le désespoir, la vérité, les ravages de la chronicité, l’hôpital, le rôle du cancérologue, le lien à l’autre. Motivé par l’enthousiasme contagieux du « docteur Lise », le lecteur y découvrira ou redécouvrira des auteurs essentiels et y lira avec curiosité et émotion un discours non convenu sur la rude compagnie de la maladie. Les livres dont il est question ici parlent tous de la vie, de l’amour, des liens et bien sûr toujours plus ou moins explicitement de la maladie et de la mort, la vraie question, celle aussi qui hante le quotidien du « docteur Lise ».
Le sang a besoin de l’encre.
Certains auteurs sont connus de tous, Robert Antelme, Louis-Ferdinand Céline, Alexandre Soljenitsyne ou Thomas Mann, d’autres plus méconnus, Raoul Carson, (« les Vieilles Douleurs »), Pierre Pachet (« Autobiographie de mon père »), entre autres. Certains sont des contemporains, Antoine Senanque, Philip Roth, d’autres sont plus anciens, Blaise Cendrars et son exceptionnelle description de la douleur neuropathique dans « J’ai saigné », Jean Reverzy et ses douleurs (« le Souffle »). Comme ce dernier, quelques-uns des écrivains évoqués sont médecins (Jean Chauviré, Céline) et ne figurent pas d’ailleurs parmi les plus insouciants ni les plus optimistes ! Les autres, plus nombreux, n’appartiennent pas à la corporation mais n’en décrivent pas moins bien les tourments humains. Comme le dit justement l’auteur russe Vassili Grossmann, « le vécu ne suffit pas, le sang a besoin de l’encre sans quoi l’histoire ne passe pas ». Cette astucieuse apologie de la littérature est une parfaite illustration de cette idée.
Mona Thomas, « la Bibliothèque du Dr Lise », Stock, collection « La forêt », 196 p., 17 euros.
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