EN TURQUIE, le gouvernement, la presse et l’opinion sont révoltés contre une loi qu’ils jugent injuste et « raciste ». Les Turcs, déjà outrés par la mauvaise volonté des Européens au sujet de l’adhésion de la Turquie à l’Union des Vingt-Sept et informés de l’hostilité personnelle de Nicolas Sarkozy à cette adhésion, sont maintenant exaspérés par une initative parlementaire, soutenue, de toute évidence, par l’Élysée, qui les transforme tous en délinquants potentiels puisqu’ils nient la réalité du génocide. En France même, de nombreux historiens ont mis en garde l’opinion contre l’ingérence de la classe politique dans un dossier qui ne devrait appartenir qu’aux historiens.
Un débat de dix ans.
Le débat ne date pas de l’année dernière. La France a reconnu le génocide arménien en 2001. Une proposition de loi qui réprimait la négation de tout génocide a été adoptée par l’Assemblée en 2006, mais, sur intervention du gouvernement, elle n’a pu être soumise au Sénat en 2008. Treize ans auparavant, l’historien américain Bernard Lewis affirmait que, pour qu’il y ait génocide, il faut qu’un gouvernement ait conçu le projet de détruire un peuple, comme ce fut le cas du Troisième Reich et du peuple juif. Lewis ne pensait pas que le gouvernement de Turquie (« Jeunes-Turcs ») était impliqué dans le génocide arménien qui a eu lieu d’avril 1915 à juillet 1918 et s’est traduit par l’élimination de quelque un million deux cent mille Arméniens d’Anatolie. La thèse de Lewis, exposée en 1993, fut décriée, mais soutenue par des historiens comme Madeline Rébérioux et Pierre Nora, lequel n’a pas changé d’avis: il a averti les Français, à plusieurs reprises, depuis deux mois, des conséquences négatives du mélange des genres, action politique et recherche historique. Trente et une personnalités, dont Claude Lanzmann et Serge Klarsfeld, affirment, pour leur part, que « le législateur ne s’est pas immiscé sur le territoire de l’historien ».
Tous ces arguments sont servis avec une once de componction et avec la distance que doit prendre le chercheur. Ils n’en traduisent pas moins l’une de ces vives passions que nourrit chacun de nos débats de société. Car, après tout, dans le cas de la Shoah, la France a adopté une loi pour punir le négationnisme et le révisionnisme. Pourquoi, dans l’absolu, ne devrait-elle avoir une position identique sur la négation des autres génocides ? Peut-être parce que les historiens sont divisés sur le génocide arménien, les uns estimant qu’il réunit tous les éléments qui en font un précurseu du génocide juif, les autres comparant plutôt le conflit opposant les Turcs aux Arméniens à ce qui s’est passé en Yougoslavie entre Serbes et Croates, entre musulmans et chrétiens. L’étalonnage de ces événements tragiques de l’histoire est embarrassant : les peuples victimes d’un génocide n’ont pas envie, quoi qu’on en dise, de porter cette qualification en sautoir ; mais ceux à qui on la conteste croient la mériter, à tort ou à raison.
LE DÉBAT SUR LE NÉGATIONNISME PORTE EN RÉALITÉ SUR LE GÉNOCIDE LUI-MÊME
En revanche, il est impossible de séparer la loi récemment adoptée du contexte électoral. Bien qu’on comprenne mal que la majorité actuelle ait pris tant de peine et de risques pour s’assurer le vote « arménien » (pas plus de 200 000 suffrages), ce n’est pas un hasard si la proposition a surgi dans la majorité à quelques mois du premier tour. Le plus surprenant, c’est qu’elle ait soulevé un débat très vif, avec des prises de position tranchées, aussi bien à droite qu’à gauche. C’est ainsi que des sénateurs socialistes, pourtant conscients de la manœuvre engagée par l’UMP, sont restés fidèles à leur conviction et ont voté pour le texte, alors que la majorité au Sénat a basculé à gauche en septembre dernier. Il n’en reste pas moins que l’on n’aurait jamais dû soumettre la politique étrangère de la France à un calcul électoral et que les conséquences de la colère turque risquent d’être très préjudiciables à notre pays. De toute façon, il est infiniment préférable que les Français votent au nom de ce qu’ils croient bon pour la France, plutôt qu’en fonction d’un quelconque particularisme ou de l’intérêt d’un groupe.
Dans la cholécystite, la chirurgie reste préférable chez les sujets âgés
Escmid 2025: de nouvelles options dans l’arsenal contre la gonorrhée et le Staphylococcus aureus
Yannick Neuder lance un plan de lutte contre la désinformation en santé
Dès 60 ans, la perte de l’odorat est associée à une hausse de la mortalité