LE QUOTIDIEN - Mis en place en 1993 et étendu en 2009 aux agents de l’État, le suivi post-professionnel n’est que peu appliqué : moins de 10 % des hommes qui pourraient demander une prise en charge le feraient. Pourquoi ?
Pr CHRISTOPHE PARIS - Le suivi s’est heurté à deux obstacles. Le premier concerne le mode d’entrée dans le dispositif c’est-à-dire l’attestation d’exposition qui doit être réglementairement cosignée par l’employeur et par le médecin du travail. Un certain nombre d’employeurs ont refusé de la délivrer. S’est ajoutée également toute la problématique des entreprises disparues ou anciennes : concernant le médecin du travail, signer une attestation d’exposition pour une entreprise qu’il ne connaît pas et qui est antérieure à celle dans laquelle il suit le salarié constitue un problème. Le deuxième obstacle est qu’il n’y a pas eu de traduction réglementaire des recommandations de la conférence de consensus (ANAES) de 1999. Par ailleurs, beaucoup de salariés ont méconnu leurs droits.
Concernant le repérage, l’une des recommandations est d’effectuer une visite médicale de fin de carrière mais vous prévoyez un dispositif subsidiaire qui consiste à envoyer un questionnaire aux nouveaux retraités. Peut-on envisager que ce repérage puisse viser d’autres expositions que celle à l’amiante ?
Il est clair que dans l’esprit de la recommandation sur la visite de fin de carrière, il s’agit d’un dispositif qui permet d’être multi-nuisances. Le médecin du travail fait le point sur les expositions professionnelles de la carrière du sujet, de manière rétrospective mais il faut savoir que, pour une bonne partie des médecins du travail, il s’agit aussi d’un suivi prospectif : il y a une traçabilité des expositions professionnelles des salariés et le médecin en fait une synthèse. Pour l’instant, le dispositif de repérage est ciblé amiante mais cette visite de fin de carrière est une pierre angulaire qui peut servir à l’ensemble du dispositif de surveillance post-professionnelle d’exposition aux substances cancérogènes. Quant au questionnaire, il se situe plus dans un mécanisme de rattrapage lorsque le dispositif de fin de carrière n’est pas opérationnel. Pour l’amiante, nous avons souhaité que la surveillance post-professionnelle soit rapidement mis en place, avec une information large et un questionnaire de repérage. À mon sens, il y a une certaine limite à répéter les questionnaires pour toutes les substances cancérogènes chez les retraités.
La balle est donc maintenant dans le camp des pouvoirs publics qui doivent organiser le dispositif de visite de fin de carrière…
Oui. Tout dépendra de la traduction des recommandations dans la pratique et dans la réglementation notamment dans pour les services de santé au travail, à un moment la réforme de la médecine du travail est en discussion.
La visite de fin de carrière peut être un dispositif multinuisance
Le dépistage, dites-vous, doit être choisi par les anciens salariés : quels sont les avantages et les inconvénients du scanner thoracique alors qu’il n’y a, à ce jour, « aucun bénéfice médical » à cet examen ?
C’est un peu la difficulté ou la subtilité du dispositif : il n’y a pas de bénéfice médical associé au dépistage des pathologies liées aux maladies de l’amiante que ce soient les plaques pleurales, l’asbestose, le cancer bronchique ou le mésothéliome. Je précise que c’est « en l’état actuel des connaissances » : pour le cancer bronchique en particulier, ces données peuvent changer. D’un point de vue strictement médical, il ne serait donc pas recommandé de faire quoi que ce soit en terme de dépistage mais le suivi post-professionnel s’inscrit dans la cadre contraignant de la réglemention européenne. Toutefois, l’ancien salarié peut y trouver un bénéfice social, celui de l’indemnisation. Il peut aussi, tout simplement, vouloir connaître son état de santé. Ce que nous avons souhaité, c’est apporter un maximum d’information et d’encadrement au salarié afin de lui permettre de faire un choix éclairé. La proposition de scanner présente au moins 3 inconvénients. D’abord celui de l’irradiation surtout si l’examen est répété. Des dérives ont été observées avec des scanners itératifs pratiqués de manière très rapprochés pour des plaques pleurales, par exemple. Le deuxième inconvénient, c’est la possibilité d’une découverte de nodules pulmonaires isolés dont une petite partie peut être des cancers bronchiques débutants nécessitant au minium une surveillance. Les nodules plus gros peuvent conduire à des gestes plus invasifs comme une biopsie sous scanner. La morbidité associée à ces gestes n’est pas négligeable. Dernier inconvénient, le contexte psychologique et l’état d’anxiété que peut générer le dépistage. Le retentissement psychologique n’a pas été démontré mais il est évident qu’un préjudice de ce type existe.
Quel message souhaitez faire passer aux médecins ?
La prise en charge des pathologies de l’amiante n’est pas facile. L’évaluation des expositions comme l’interprétation du scanner thoracique sont difficiles. La cohorte ARDCO a révélé une grosse discordance d’interprétation entre des radiologues d’une part et des experts d’autre part. Cette difficulté d’interprétation conduit à des faux positifs ou à des faux négatifs. L’accompagnement du patient est également un élément important. Le médecin doit informer et d’éclairer le patient au cours du processus et, autant que faire se peut, il devrait le faire avec les centres de référence que sont les centres de consultation de pathologies professionnelles, présents dans tous les CHU.
La Cour de cassation vient de reconnaître que des salariés pouvaient bénéficier d’une indemnisation pour « préjudice d’anxiété » dû à l’apparition éventuelle de la maladie du fait que certains de leurs collègues ont développé des cancers. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons mené une étude, (je pense que nous sommes les seuls à l’avoir faite en France), pour essayer de caractériser l’impact psychologique associé à l’exposition à l’amiante : peu de chose existe dans la littérature sur le sujet. Nous avons constaté qu’une partie des patients atteints des pathologies non malignes comme des plaques pleurales présentent un retentissement psychologique important plus que ne le suggérerait le pronostic. Nous avons également essayé de voir s’il existait des différences d’appréciation du risque et d’impact psychologique chez les sujets exposés non malades et des sujets non exposés non malades : l’étude publiée en 2009, a montré un impact plus grand chez les sujets exposés par rapport à des sujets non exposés. La difficulté, en tant que médecin, est d’interpréter cette différence de score : cette anxiété plus grande est-elle pathologique ou s’agit-il d’une simple augmentation finalement assez naturelle ?
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