Clostridium difficile est retrouvé moins d'une fois sur dix dans les diarrhées des antibiotiques
LE QUOTIDIEN - Dans quelle perspective avez-vous mené cette étude ?
Pr Laurent BEAUGERIE - La diarrhée est l'effet secondaire le plus fréquent des antibiothérapies orales, avec une fréquence évaluée entre 5 et 30 % selon les critères retenus. En France, elle n'a fait l'objet d'aucune étude analytique dans la population générale. On sait par ailleurs que Clostridium difficile (CD) est la principale bactérie pathogène intestinale nosocomiale, sa nocivité étant due à la production de toxines et qu'elle est l'agent habituel des colites pseudo-membraneuses. En revanche, son rôle dans les diarrhées dites simples post-antibiothérapie est moins clair. Dans la population générale, l'incidence des infections à CD s'élèverait à 7 à 16 pour 100 000 patients-années, mais ces résultats sont fortement biaisés par l'absence de recherche systématique du germe.
Le but de notre étude était donc double. D'une part, décrire les modifications du transit intestinal observées dans la population générale sous antibiothérapie. D'autre part, évaluer l'incidence et le rôle de CD dans ce contexte.
Comment avez-vous procédé ?
Grâce à 28 médecins généralistes exerçant en région parisienne, nous avons pu inclure 266 patients (90 hommes, 176 femmes), âgés de 18 à 89 ans, traités à domicile pour une antibiothérapie de 5 à 10 jours. Le jour de la prescription (J1) et au 14e jour (J14) suivant, CD a été recherché dans les selles (culture, cytoxicité de la toxine B, typage et évaluation du pouvoir toxicogène des souches isolées). Dans l'intervalle, les patients ont rempli un carnet de transit, en s'aidant d'icônes pour noter la consistance des selles. Nous avons retenu les critères de l'OMS pour définir la diarrhée : émission de plus de 2 selles très molles à liquides par jour.
Quels sont vos résultats ?
La plupart des prescriptions (92 %) étaient motivées par une infection ORL ou bronchopulmonaire. Quarante-six patients (17,5 %) ont eu une diarrhée, qui a toujours été spontanément résolutive et, le plus souvent (65 %), de durée brève, inférieure à 48 heures. Elles apparaissent le plus souvent à J5.
Nous avons déterminé deux facteurs prédictifs indépendants de diarrhée : d'une part, les modalités de l'antibiothérapie (classe et durée, sa longueur accroissant le risque), d'autre part, le nombre quotidien de selles molles avant l'antibiothérapie.
Un seul malade était porteur sain de CD dès l'inclusion. CD était présent dans les selles de dix (3,8 % sur 260 patients correctement documentés) malades à J14 et il était producteur de toxines chez 7 d'entre eux, dont 4 avaient une diarrhée. La présence à J14 d'un CD producteur de toxine était plus fréquente chez les malades ayant une diarrhée (8,7 %) que chez ceux n'en ayant pas (1,4 %).
Qu'en concluez-vous ?
D'abord, que la diarrhée sous antibiotiques est très fréquente dans la population générale, mais qu'elle est habituellement brève et bénigne. Cependant, si nous avions choisi des critères plus sévères de diarrhée, sa prévalence apparaîtrait moins élevée (7 % à plus de 2 selles molles par jour ou à durée supérieure à 24 heures). Cette diarrhée est le plus souvent une modification transitoire de la consistance des selles, dont un facteur prédictif est l'état du transit avant l'antibiothérapie. Elle est associée à la présence d'un CD producteur de toxine moins d'une fois sur 10. En outre, cette étude suggère que les infections à CD producteur de toxine peuvent être responsables de la diarrhée dans certains cas. Pour les prédire, nous avons besoin d'études des facteurs cliniques de ces infections.
L'importance de ces études ressort d'une extrapolation simple de nos résultats. Si nous partons d'une prise d'antibiotiques par habitant et par an, nous obtenons 1 600 000 acquisitions de CD producteur de toxine par an, avec 920 000 diarrhées. Elles ne sont pas toutes bénignes, en particulier chez le sujet âgé, pouvant aller jusqu'à la colite mortelle. Il est donc important de travailler à identifier les facteurs, en particulier immunitaires, qui conditionnent chez une personne donnée la gravité de l'infection, allant du portage sain transitoire à la colite grave.
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