L E Dr David Miller, père de trois enfants, ne veut pas mourir « comme ça ». « Je suis jeune », dit-il au « Quotidien », encore sous le coup de sa fin de journée agitée du 31 janvier. Ce jour-là, un mercredi soir, il quitte vers 19 h 45 son cabinet de dermatologie. Il franchit à peine le seuil de l'immeuble, où il est installé au premier étage, que deux individus le « réceptionnent ». « Bousculé », neutralisé par une bombe lacrymogène, il se retrouve séquestré, les yeux bandés, sur son lieu de travail, de 19 h 50 à 20 h 35. L'un des agresseurs le garde, après que l'autre lui a demandé son numéro de carte bancaire, « sinon dans 5 minutes t'es mort ». La peur au ventre, le Dr David Miller ne sera délivré qu'au retour du compère, parti retirer de l'argent. « K.-O. debout », il se découvrira des bleus sur le visage alors qu'il n'a pas souvenir d'avoir été frappé ; son gardien avait dans sa main droite, « semble-t-il », une arme blanche. Avant sa libération, le cabinet sera « fouillé, le téléphone coupé », son portable volé, et, bien sûr, sa carte bancaire non restituée.
Au commissariat, « gardé comme un bunker, où les occupants s'occupent à tailler des crayons et à discuter, qui de sa mère, qui de sa tante », le praticien s'entendra dire : « Si on les retrouve, il ne leur arrivera rien. » Quant à l'Ordre, le Dr Miller s'est abstenu de les prévenir : « Pourquoi le faire ?», lance-t-il dépité.
Cependant, le maire communiste de Colombes a pris de ses nouvelles, comme il l'aurait fait pour n'importe quel autre de ses 80 000 administrés agressés, « sans doute pour savoir si je n'étais pas mort ». Depuis, la rue très commerçante du dermatologue « reste toujours vide de flics ».
Le 22 janvier, une orthophoniste de la même artère a vécu un cauchemar semblable, avec coups de poing sur la tête. « On m'a expliqué que si à Levallois, ville voisine, la sécurité était assurée par la présence de policiers, c'est qu'il n'y avait pas d'immeubles sociaux », raconte le Dr Miller, qui a décidé de se doter d'une caméra vidéo.
Une semaine plus tard, le 6 février au soir, ajoute-t-il, « c'est au tour de ma consœur Marie-Josée Sanviti, généraliste dans un quartier de Colombes très isolé », d'être agressée. Le scénario est pratiquement identique. Deux hommes en cagoule, cachés dans le cabinet de l'omnipraticienne, ont attendu que la victime ausculte son dernier patient pour s'en prendre à elle. Ligotée et bâillonnée, elle sera enfermée dans un placard, le temps que ses assaillants s'enfuient avec sa carte bancaire et sa voiture.
Sécuriser le lieu de travail
Le jour même, vers 17 h 30, le maire recevait le Dr Delia Cozzolino, présidente de l'Amicale des médecins de Colombes. La ville compte une soixantaine de généralistes et une cinquantaine de spécialistes. Le mal est là, et chacun se demande ce qu'il faut faire. Mme Cozzolino attend de rencontrer le commissaire de police. « Faut-il opter pour des rondes de policiers, ou un numéro de téléphone spécial qui relierait les praticiens au commissariat ?», s'interroge-t-elle. « Nos confrères vont devoir sécuriser leur porte d'entrée, car il devient classique de voir des intrus se faufiler dans nos toilettes. Un système de verrouillage avec caméra coûte environ 7 000 F. »
A l'Ordre des Hauts-de-Seine, la situation est prise au sérieux. « Depuis trois ans que je suis président, déclare le Dr Jean Leclercq, on enregistre de 4 à 5 agressions annuelles, et on ne nous signale pas tout, à commencer par les jets de pierres sur les voitures. La plupart des délits, environ 70 %, se produisent au cabinet, et nos jeunes confrères n'ont pas les moyens de sécuriser leur lieu de travail. » Fin 1999, le Dr Leclercq et son confrère Jean-Alain Cacault, secrétaire général de l'Ordre, accompagnés du directeur des polices urbaines du département, ont vu le préfet, qui leur a signifié qu'il n'était « pas possible de faire plus, faute d'effectifs policiers ». « Au niveau des gardes, poursuit le responsable ordinal, nous espérons trouver une parade avec l'instauration de centres d'accueil et de permanence des soins (CAPS). Lieu neutre, le CAPS, comme celui de Courbevoie qui existe depuis le 1er janvier dans une clinique, est ouvert de 20 heures à minuit, période où se font 70 % des appels de nuit. » Boulogne-Billancourt et Colombes devraient suivre. Il conviendrait, bien entendu, que les municipalités concernées participent, matériellement, au fonctionnement du CAPS, compte tenu de la mission de service public accomplie. Restent les agressions en cabinet individuel. « Nous allons être contraints de travailler en groupe de quinze », imagine le Dr David Miller.
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