LE QUOTIDIEN - Les hôpitaux sont en train de prendre connaissance de leurs budgets 2001. Quel est l'état d'esprit au moment de cette « distribution » ?
ALEXIS DUSSOL - 2001 sera un exercice difficile, sachant que le taux d'évolution des dépenses arrêté (+ 3,3 %) englobe à la fois la reconduction des moyens (dont disposent actuellement les hôpitaux) et le financement des mesures nouvelles. Pour un certain nombre de régions, ce sera particulièrement périlleux : l'Ile-de-France va devoir tenir avec un taux d'augmentation des budgets hospitaliers de 1,97 % alors que, arithmétiquement, la simple reconduction des moyens nécessite 3,3 ou 3,4 %.
Critiquez-vous, en disant cela, le mécanisme de correction des inégalités interrégionales ?
En période de maîtrise des dépenses, corriger les inégalités n'est pas aisé : il y a un seuil en deçà duquel on ne peut pas descendre. Les pouvoirs publics supposent qu'on restructure l'offre en même temps, mais les rythmes de la réduction des inégalités et de la restructuration ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, sur le fond, on fait un peu du surplace. En dehors des points ISA (1) , deux critères sont utilisés pour la péréquation (des budgets hospitaliers entre les régions) . Le premier est la dépense hospitalière par habitant hospitalisable, ce qui pénalise les régions où la densité de population est faible, celles où, à niveau de population égal, les dépenses de structure sont plus importantes qu'ailleurs compte tenu de la dispersion des moyens. Le second critère est l'indice comparatif de mortalité, qui mesure l'écart de chaque région par rapport au taux national moyen. Plus on vit vieux dans une région, plus cette région est considérée comme « favorisée » et moins ses dotations budgétaires sont importantes. Ce raisonnement est très critiqué. Parce que le taux de mortalité résume toute une histoire qui n'implique pas que l'offre hospitalière publique. Parce que, bien sûr, augmente avec l'âge la prévalence de maladies dégénératives qui coûtent cher. Nous souhaitons que l'ensemble de ces critères soient réexaminés.
Pour une décentralisation, expérimentale
A l'intérieur des régions, faut-il, ainsi que certains le préconisent, laisser davantage de latitude à l'initiative politique locale ?
Le projet de loi de modernisation sanitaire propose de déconcentrer le système en installant des « conseils régionaux de santé ». Parallèlement, l'UDF a rédigé une proposition de loi pour aller vers la décentralisation. Personnellement, je pense qu'il faut peut-être panacher déconcentration et décentralisation, sous forme expérimentale et dans des régions volontaires. Il faut autoriser certaines régions à participer au financement des investissements hospitaliers, rendre obligatoire la consultation du conseil régional sur les SROS (schéma régional d'organisation sanitaire, ndlr) . L'Etat ne peut pas tout traiter. L'exemple de la gestion de la démographie médicale le prouve.
35 heures : créer 7 % d'emplois supplémentaires
Comment voyez-vous la négociation sur les 35 heures à l'hôpital ?
L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) va être le grand dossier de l'année 2001. Nous nous félicitons de la clarification récemment faite à ce sujet par Mme Guigou. Le temps laissé à la négociation locale est important. Cela est nécessaire si l'on veut que les 35 heures soient l'occasion d'une remise à plat. Car l'ARTT sera un échec s'il consiste uniquement à réduire le temps de travail. Il doit permettre un gain en termes d'organisation du travail et de service rendu au patient. Nous sommes également satisfaits de l'annonce d'un cadrage national. Aujourd'hui, au gré des conflits locaux, des histoires de chacun, il n'y a pas un hôpital qui ressemble à un autre. Il faut que ce que nous appelons les « fondamentaux » - la durée de travail, la durée du travail effectif (que fait-on des astreintes, des gardes, des temps de repas ?) -, soient définis au niveau national.
La ministre a confirmé que les 35 heures se feraient à l'hôpital avec création de postes.
C'est positif. Nous estimons qu'il faut 7 % de postes supplémentaires. Cela ne veut pas dire que chaque hôpital aura droit à 7 % de créations d'emplois : il faudra davantage à celui qui va passer de 39 à 35 heures qu'à celui qui est déjà à 37 heures.
Comment l'hôpital pourra-t-il gérer la pénurie d'infirmières ?
Il va falloir trouver des mécanismes de compensation. Dans notre pays, nous n'avons pas une culture suffisante de la veille et de la prospective. Il y a deux ou trois ans, on fermait encore des écoles d'infirmières
Et le temps de travail des médecins ?
C'est un sujet qui nous inquiète énormément. Le repos de sécurité et l'arrêt rendu le 3 octobre 2000 par la cour européenne de Justice, qui considère la garde comme du temps de travail effectif, se heurtent à un vrai problème de démographie médicale. La pénurie de médecins est réelle dans certaines régions et dans certaines disciplines. Le fait d'avoir augmenté le numerus clausus est une bonne chose. Il faut également que les nombres de postes au concours de l'internat soient fixés par spécialités de manière plus fine qu'à l'heure actuelle. Car il s'agit de mieux mettre en rapport les flux de formation avec les besoins. Peut-être faut-il aussi revoir la définition des compétences professionnelles et des métiers, aller vers l'harmonisation des pratiques européennes pour ce qui relève des compétences des infirmières, des sages-femmes. Entre le psychiatre et le psychologue par exemple, il peut y avoir des transferts de compétences.
" Ne pas jouer à Madelin "
La mise en uvre d'une tarification à la pathologie pour remplacer le système actuel de financement des hôpitaux et des cliniques semble patiner. Quel est votre point de vue sur ce projet ?
Cette question n'est pas seulement technique, elle est aussi éminemment politique. Nous sommes résolument opposés à la régulation du système hospitalier par le tarif - pour être un peu provocateur, je dirais :
« Faut pas jouer au Madelin dans ce domaine ».
Car si l'on faisait cela, on créerait des déserts hospitaliers dans des zones entières du territoire et des situations d'exclusion. Nous croyons beaucoup plus au plan qu'au marché. Le plan peut seul assurer une répartition équilibrée des équipements hospitaliers sur le territoire. Nous sommes en outre hostiles à toute idée de concurrence(entre hôpitaux et cliniques)
par comparaison. Parce qu'il faut qu'il y ait comparabilité entre les choses. Or entre l'hôpital public et les cliniques privées, ce n'est pas le cas. La nature des malades, la nature des pathologies traitées, les statuts des personnels... font qu'on ne peut pas tout résoudre en définissant les missions de chacun. Cela étant, il faut rendre le système efficient. Il faut que dans le privé comme dans le public, un franc dépensé soit un franc utile. Ce que nous souhaitons, c'est que dès 2002, un certain nombre de dépenses médicales et pharmaceutiques (les prothèses, les médicaments coûteux, les produits sanguins...) soient sortis de la dotation globale et soumis à un financement à l'activité réelle.(1) Indice synthétique d'activité qui sert à mesurer l'activité d'un établissement.
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