L E but initial des références était de disposer d'un outil pour repérer les carences en tel ou tel macro- ou micronutriment et de les corriger. Les carences cliniques ayant presque totalement disparu dans nos pays, il s'agit maintenant de définir les niveaux d'apports optimaux qui permettraient de prévenir ou de diminuer le risque de pathologies dégénératives comme le cancer, les maladies cardio-vasculaires, le diabète et l'ostéoporose.
« C'est un luxe de pouvoir s'occuper ainsi d'équilibre nutritionnel ; mais un luxe nécessaire, l'alimentation ayant un impact important sur la santé, a souligné le Dr Bernard Kouchner, ministre de la Santé lors de la présentation des nouvelles recommandations. La France est un des pays qui portent le plus d'attention à la santé. Nous avons une politique nutritionnelle ambitieuse, dont nous avons fait une de nos priorités durant la présidence française de la Communauté européenne. »
Un travail de Titan
Le changement conceptuel des ANC a été source de difficultés : définir des niveaux nutritionnels optimaux implique que l'on prenne en compte une somme considérable de données issues de tous les pays (y compris les études d'intervention), puisque l'on extrapole les résultats aux spécificités de la population française.
Il a fallu quatre ans et près d'une centaine d'experts pour réaliser cet énorme travail. Dès le début, trois objectifs ont été fixés : faire une remise à plat de l'ensemble des données disponibles pour les différents nutriments, afin d'expliciter au mieux les bases scientifiques retenues ; assurer la cohérence entre les approches analytiques, nutriment par nutriment, et les approches synthétiques par groupes de populations ; valider la démarche et ses résultats par une expertise collective. On a ainsi tenté de définir différents niveaux d'apports : le besoin net (quantité de nutriment nécessaire à l'entretien, au fonctionnement métabolique et physiologique d'un individu en bonne santé, au maintien de ses réserves, intégrant les besoins liés à certaines circonstances physiologiques particulières - croissance, gestation, allaitement) ; le besoin optimal (cette notion prend en compte la qualité de vie au long cours et la possible réduction du risque de pathologies) ; et les limites de sécurité (quantité maximale d'un nutriment qu'un individu peut consommer sans risque pour sa santé pendant toute sa vie).
Une large diffusion des résultats
« Le contenu de cette nouvelle édition des ANC, fruit de quatre années de travail, doit maintenant être largement diffusé en France et à l'étranger, a souligné Bernard Kouchner. Différentes versions doivent être élaborées en fonction des publics auxquels elles sont adressées médecins, diététiciens, grand public. Des kits spécifiques enfants, femmes enceintes et personnes âgées seront également réalisés ». Le ministre a annoncé la création d'un site dédié aux ANC et à la nutrition avec des menus équilibrés, ainsi que des outils informatiques pour les professionnels de la nutrition. Il sera possible d'évaluer l'équilibre alimentaire en répondant à un questionnaire simple sur les consommations hebdomadaires. Le résultat est schématisé sous la forme d'un bateau à comparer avec le « bateau alimentaire de référence » dont les différentes parties représentent les légumes, les fruits, les féculents, les sucres simples, les produits laitiers, les viandes et poissons, les graisses animales, les graisses végétales ; un éventuel tonneau noir symbolisant l'alcool.
Les macronutriments
L'énergie est le seul apport qui échappe à la définition de l'ANC : l'ajout de deux écarts types à un besoin moyen conduirait à des propositions trop élevées pour l'ensemble de la population. De plus, les besoins sont très variables en fonction des niveaux de métabolisme de base et d'activité physique.
Concernant les protéines, les données disponibles permettent de proposer un apport de 0,8 g/kg, correspondant à 8 à 12 % environ de l'énergie ; cette valeur est plus basse que celle de l'édition précédente. Pour les lipides, compte tenu de toutes les recommandations internationales, l'apport a été fixé à 30 ou 35 % de la ration énergétique. Les auteurs soulignent d'une part, la nécessité de limiter l'apport des acides gras saturés pour leurs effets négatifs sur le développement des maladies cardiovasculaires, et, d'autre part, la nécessité d'assurer un apport optimal des acides gras indispensables que sont l'acide linoléique (C18:2 n-6) et l'acide linolénique (C18:3 n-3). Les rôles physiologiques de ces deux acides et de leurs dérivés (eicosanoïdes tels que prostaglandines et leucotriènes), les interactions métaboliques connues entre les acides des séries n-6 et n-3, ainsi que la bonne concordance des études épidémiologiques et expérimentales concernant les effets possibles sur la santé d'un déséquilibre entre les deux séries, conduit à proposer un apport de 2 g/l pour l'acide linolénique chez l'homme adulte, avec un rapport n-6/n-3 optimal abaissé autour de 5.
Les apports conseillés en glucides découlent en quelque sorte mathématiquement des ANC pour les autres macronutriments. Les auteurs conservent, dans cette 3ème édition, les valeurs classiquement proposées : au moins 50 % de l'énergie doit être apportée par les glucides. Il n'est pas possible à l'heure actuelle de donner un chiffre butoir pour la proportion de glucides simples ; mais il faut souligner le fait qu'ils sont souvent associés à des lipides. Par ailleurs, un apport suffisant en glucides indigestibles (fibres alimentaires) conduit à privilégier les aliments riches en glucides complexes. Une consommation de 25 à 30 g/j de fibres alimentaires est conseillée chez l'adulte. Chez l'enfant la ration en g/l est égale à l'âge + 5.
Les micronutriments
Les besoins nutritionnels en éléments minéraux ont été évalués à partir des besoins nets et du coefficient d'absorption intestinal ; cela a été fait pour le calcium, le phosphore, le magnésium, le fer, le zinc et le cuivre. Pour les autres éléments, des apports estimés adéquats ont été adoptés à partir de limites de carence observées, de l'état des réserves et parfois des quantités habituellement consommées. Pour d'autres enfin (bore, nickel, vanadium, silicium, etc.), les connaissances trop fragmentaires n'ont pas permis de proposer un chiffre d'ANC. Pour le sodium, la limite supérieure de consommation a fait l'objet de nombreuses controverses (« le Quotidien » du 19 février).
Les apports en vitamines (et tout particulièrement celles aux propriétés antioxydantes) ont également fait l'objet de nombreuses discussions : pour la vitamine E, il a été décidé de conserver l'ANC précédent (12 mg/j) ; les besoins en vitamine A sont fixés à 800 ER (équivalents rétinol**) chez l'homme adulte ; pour la vitamine D, la diminution de l'ANC, qui passe de 10 à 5 microg/j chez l'enfant à partir de 4 ans et chez l'adulte, n'est qu'apparente (en effet le besoin alimentaire est estimé à 5 microg/j et le besoin total y compris la synthèse due à l'exposition solaire à 10 microg/j) ; les très jeunes enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées doivent avoir des apports alimentaires de 10 microg/j. Les besoins en vitamine C varient de 50 à 130 mg/j selon l'âge.
Ne pas être trop normatif
En dépit de la qualité incontestable de ce travail, il convient de souligner, comme le font les auteurs eux-mêmes, les limites des ANC. D'une part, il s'agit de données évolutives qu'il faut réactualiser en permanence. D'autre part, il serait dangereux de fixer son attention uniquement sur les normes d'apport de macro- et micronutriments, en oubliant les autres aspects de l'alimentation (rythmes et comportements, dimensions hédonique et sociale) et des modes de vie (activité physique notamment). « Il serait certainement dangereux de réduire la nutrition à ces seuls repères quantitatifs et, pire encore, de les transformer en normes intangibles », a conclu le Pr Ambroise Martin.
* « Apports nutritionnels conseillés pour la population française », 3e édition ; coordinateur : Ambroise Martin. Editions TEC & DOC, 608 pages, 290F.
Site Internet : www.afssa.fr
** 6 mg de bêta-carotène = 1 mg de rétinol.
ANC en calcium
1-3 ans 500 mg/j
4-9 ans800 mg/j
10-18 ans1200 mg/j
Adulte900 mg/j
Femme après 55 ans 1 200 mg/j
Homme après 65 ans1 200 mg/j
Femme enceinte ou allaitante 1 000 mg/j
ANC en fer
Nourrissons7mg/j
1-9 ans7mg/j
10-12 ans8mg/j
Garçons 13-19 ans 12mg/j
Filles 13-19 ans14mg/j
Hommes adultes9mg/j
Femmes réglées16mg/j
Femmes ménopausées9mg/j
Femmes enceintes25-35mg/j*
Femmes allaitantes 10mg/j
* Difficiles à atteindre avec alimentation courante
ANC en acide folique (B9)
Nourrissons70 microg/j
1-3 ans100 microg/j
4-6 ans150 microg/j
7-9 ans200 microg/j
10-12 ans250 microg/j
13-15 ans300 microg/j
Hommes après 16 ans 330 microg/j
Femmes après 16 ans 300 microg/j
Femmes enceintes et allaitantes 400 microg/j
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