L 'HYPOTHESE d'un défaut de production de prostacycline (vasodilatateur) et d'un excès de thromboxane (procoagulant, vasoconstricteur) dans la physiopathologie de la prééclampsie a logiquement fait suggérer l'existence d'un effet bénéfique des antiplaquettaires, de l'aspirine, notamment.
Malgré une quantité énorme de travaux sur le sujet (300 publications), aucune conclusion n'a pu être tirée à l'issue des premières grandes études comparant les effets de petites doses d'aspirine à ceux d'un placebo, alors que les résultats des premières études pilotes étaient très encourageants. Pour expliquer ces résultats décevants, on s'est demandé si certaines femmes seulement répondaient bien à l'aspirine, si la dose devait être ajustée en fonction du risque et si la méthodologie des premiers essais contrôlés n'avait pas biaisé les résultats. En revanche, la bonne tolérance des antiplaquettaires était retrouvée dans tous les essais cliniques.
39 études, 30 563 femmes
Afin d'en finir avec ces doutes, une équipe d'épidémiologistes-obstétriciens d'Oxford a analysé, de la façon la plus rigoureuse possible, l'ensemble des essais cliniques menés, à ce jour, chez des femmes à risque de prééclampsie. Au total, 39 études (30 563 femmes) ont été incluses dans l'analyse et 43 exclues. Toutes devaient comporter l'administration d'un antiplaquettaire contre placebo ou rien à des femmes classées à risque. L'ensemble des études a été analysé conjointement et indépendamment par une double équipe de chercheurs anglais et australiens.
L'effet et la tolérance des antiagrégants ont été évalués par la fréquence de survenue de prééclampsies, par le taux de prématurité et de petits poids de naissance, par la fréquence des saignements (chez la mère et l'enfant) et par la mesure du taux de mortalité ; tous ces critères étant comparés dans des sous-groupes appariés pour éviter de créer des biais. Les chercheurs ont, par conséquent, comparé les résultats chez des femmes à haut risque (antécédent de prééclampsie sévère, diabète, hypertension, pathologie rénale ou maladie auto-immune), à risque modéré (tous les autres facteurs de risque), avec un traitement débuté avant ou après la 20e semaine de gestation, avec plus de 75 mg/j d'aspirine ou moins.
une réduction de 15 % du risque de prééclampsie
Les femmes traitées par aspirine à petites doses ont présenté une réduction de 15 % du risque de prééclampsie, quels que soient le niveau de risque, la dose d'aspirine administrée, la date de début du traitement et l'administration ou pas d'un placebo. En revanche, le nombre de décès maternels, d'éclampsies, de césariennes était identique dans les deux groupes.
Chez l'enfant, le taux de prématurité était abaissé de 8 % quand sa mère consommait 75 mg/j d'aspirine (ou moins,) mais pas au-delà de 75 mg/j (ce résultat est discutable du fait du petit nombre d'études). La mortalité globale (fœtale, néonatale et infantile) était abaissée de 14 % sous aspirine. Le nombre d'enfants de petit poids de naissance, la fréquence des saignements (chez la mère ou l'enfant) et tous les autres critères étaient comparables avec ou sans aspirine.
Les rapporteurs de ce travail titanesque estiment qu'il faut maintenant informer les médecins, les patientes et les autorités sanitaires de cet effet, certes modeste, des antiagrégants. Même s'il faut statistiquement traiter 250 femmes à risque par l'aspirine avant de pouvoir sauver le vie d'un enfant.
Lelia Duley et coll. « British Medical Journal », vol. 322, 10 février 2001, pp. 329-333.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature