Après une première semaine consacrée à l’audition des familles et des soignants, le procès du Dr Nicolas Bonnemaison, accusé d’avoir empoisonné 7 patients en fin de vie entre mars 2010 et juillet 2011 dans l’Unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) de l’hôpital de Bayonne, s’est resserré autour de la loi Leonetti, avec les témoignages de nombreux médecins et personnalités médicales.
Hommage à l’urgentiste
Plusieurs collègues de l’urgentiste lui ont rendu hommage, saluant ses qualités humaines ou professionnelles, face à des situations de fin de vie extrêmement douloureuses. Le Dr Emmanuel Muller, réanimateur et chef de pôle à l’hôpital de Bayonne, s’est dit « surpris et secoué » par la mise en examen d’un médecin qui remplissait parfaitement sa mission.
Le Dr Pierre-Marie Kuhn, anesthésiste réanimateur à Bayonne a provoqué l’émotion de l’assemblée en témoignant pour son « ami ». « Je suis confrontée moi aussi à la fin de vie et je sais la difficulté des derniers moments », a-t-elle expliqué. Elle a connu les cocktails lytiques et les années sida, travaillé en cancérologie et auprès de jeunes atteints de mucoviscidose : « Depuis on a des lois, on tente de les appliquer du mieux qu’on peut. Parfois sans bien comprendre où est la limite », commente-t-elle. Et de raconter les regrets qu’elle ressent encore à l’égard d’un homme de 40 ans, atteint d’un cancer du poumon inopérable, dont l’état s’est dégradé rapidement et qui a refusé la respiration artificielle. « Il avait trois enfants, il a fallu leur expliquer. J’ai discuté avec mes confrères, avec la famille. Tout ça m’a pris 4 heures durant lesquelles il s’est vu mourir. J’ai mis une seringue d’hypnovel, il est mort dans les bras de sa femme. Je regrette ces 4 heures de perdues », a-t-elle raconté.
Une collégialité délicate
À travers ses témoignages, se dévoile la non-évidence de la mise en œuvre de collégialité, obligatoire en cas d’arrêt des traitements, non en cas de sédation, bien que la loi Leonetti demande d’informer la personne concernée et son entourage et de consigner la décision dans le dossier.
Le Dr Jean-Michel Gouffrand, chirurgien depuis 35 ans à Bayonne en clinique privée, a reconnu avoir provoqué la mort d’un de ses amis : « Il m’a demandé : c’est toi qui va me faire la piqûre demain matin ? Le lendemain, je lui ai fait une petite piqûre de morphine, je lui ai pris la main, et il a souri ». La décision collégiale peut se faire sous forme d’échanges informels : une lettre de neurologue, un coup de fil au cardiologue, un confrère croisé dans un couloir, a-t-il poursuivi.
Un autre médecin anesthésiste réanimateur, au CHU de Toulouse, le Dr Kamran Samii, a livré son interprétation de l’esprit de la loi, lorsqu’il a poussé la seringue sans l’expliquer ouvertement aux proches, qu’il avait accompagnés : « J’ai interprété la collégialité comme moi + les informations que j’ai recueillies ».
Solitude des médecins
La solitude des médecins dans les hôpitaux a éclaté. Le Pr Didier Sicard a dénoncé l’indifférence hospitalière et la pression de la société en faveur d’agonies courtes. « Face à des situations de fin de vie difficiles, laisser un médecin tout seul peut aboutir à ce désastre », à des gestes brutaux. « Il faut que le médecin s’habitue à ne pas être dépositaire de la vérité et à faire l’apprentissage du partage. Il faut savoir parler aux proches de la fin de vie sans faux-fuyant, mais sans demander un aval, car la responsabilité est lourde à porter pour eux », a-t-il déclaré.
Le Pr Philippe Dabadie, anesthésiste-réanimateur au CHU de Pointe-à-Pitre a attiré l’attention sur le sort des petits hôpitaux. « Nous sommes formés en France à un exercice solitaire. On ne nous apprend pas à travailler en équipe ».
Aide à l’agonie, pas euthanasie
D’autres professionnels ont insisté sur les situations d’agonie qui passent à travers les mailles de la loi Leonetti. « C’est un aspect occulté ces dernières années. Si on décide l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielle, le compte à rebours s’enclenche. La personne va mourir de déshydratation. Ce temps d’attente peut être très éprouvant », a expliqué le Dr Pierre Brillaxis, médecin coordonnateur de l’équipe mobile de soins palliatifs de Bayonne.
« La loi Leonetti ne concerne les malades conscients, pouvant exprimer leur volonté. C’est une bonne loi dans la mesure où on a du temps, si le patient est conscient. Elle ne concerne pas les malades qui sont déjà dans un processus de mort, à l’agonie, une zone médicament floue », a aussi développé le Dr Michel André, ancien anesthésiste et directeur d’hôpital à Bordeaux.
Selon l’expertise des dossiers médicaux et infirmiers réalisée par le Pr Charles Janbon, du CHU de Montpellier, tous les patients étaient largement en fin de vie, dans le coma, sans amélioration de leur pronostic. Les dossiers ne mentionnent pas de signes de souffrance physique intolérable, tandis qu’il est quasi-impossible d’objectiver la souffrance psychologique chez des patients dans le coma.
« Cette affaire n’est pas celle de l’euthanasie, mais celle de l’aide à l’agonie, ce passage de quelques heures où les patients ne sont plus encore vivants, pas encore morts », a résumé le Pr Jean-Étienne Bazin, anesthésiste réanimateur.
Le député Jean Leonetti a lui même reconnu les limites de sa loi face à un patient inconscient, pour lequel on manque d’éléments objectifs permettant d’évaluer les doses d’antalgique à donner. Il a admis que les agonies qui se prolongeaient posaient question. La loi devrait évoluer vers un renforcement de l’opposabilité des directives anticipées et un recours facilité à la sédation, a-t-il dit.
Selon le père de la loi de 2005, Nicolas Bonnemaison a violé le droit pénal en donnant la mort à des malades qui ne le demandaient pas, et s’est rendu coupable de pratiquer une médecine d’une autre époque, solitaire, où les soins palliatifs étaient rares. « Mais il n’est pas un assassin. Il est un médecin qui de bonne foi a fait ce qu’il pensait devoir faire », assène Jean Leonetti.
Jusqu’où peut évoluer la loi ?
Deux anciens ministres ont aussi réfuté le qualificatif d’« assassin » pour Nicolas Bonnemaison. Bernard Kouchner a défendu les « illégalités fécondes » des médecins pour accompagner la fin de vie. « Se détourner de la fin de vie est facile et appliquer la loi c’est plus facile que de la transgresser », a-t-il déclaré. Se sentant « responsable » du procès Bonnemaison, à cause de l’incapacité des politiques à « forcer assez vite une loi sur la fin de vie », pour n’avoir pu faire qu’un « texte de consensus, et non une législation complète », il a appelé à dépasser au plus vite la loi Leonetti.
L’ex-ministre déléguée aux personnes âgées Michèle Delaunay, qui s’est interrogée sur sa légitimité à « juger », a humblement décrit les limites du législateur. À la question « La fin de vie est-elle codifiable », elle répond : « Le législateur ne peut pas s’en absoudre et doit baliser le maximum de possibilités mais il ne pourra jamais en couvrir tous les aspects. Il y aura toujours un interstice pour la conscience et la décision solitaire du médecin, parfois d’un proche ».
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