Municipales 2001
De notre envoyée spéciale
D ANS le mistral glacé qui souffle sur Avignon en ce dimanche matin, les tee-shirts à l'effigie d'Elisabeth Guigou ont disparu sous de chaudes parkas. Parmi les distributeurs de tracts du marché aux puces de la place des Carmes, le Dr Joël Peyre tape des pieds pour se réchauffer.
Installé comme généraliste sur la ceinture de la ville depuis une dizaine d'années, il en est à sa troisième campagne électorale : l'une pour les cantonales avec les Verts et les associations en 1992, l'autre en 1995 sur une liste « citoyenne » dont il était le chef de file. Il pense aujourd'hui que mieux vaut regrouper ses forces là où elles peuvent être utiles et il a donc répondu favorablement aux sollicitations d'Elisabeth Guigou : troisième de la liste, il représente la société civile dans le même esprit que lors des campagnes précédentes, « avec pragmatisme, pour faire bouger les choses et mettre en avant les questions citoyennes », dit-il. L'exclusion des personnes âgées, des handicapés, des marginaux, l'interpellent particulièrement. « Et nous avons un vrai projet adapté à ces problèmes », affirme-t-il. « Il faut une adaptation des transports en commun et des lieux publics pour les aider à rompre leur isolement et il faut travailler en coopération avec les associations les plus proches d'eux, qui existent mais qui sont totalement ignorées par la mairie. » Très confiant dans la victoire de cette liste, il estime qu'il suffit « de rencontrer et d'expliquer, pour que les gens comprennent la différence entre les deux projets de municipalité ».
« On n'est pas ministre à vie »
Aussi délaisse-t-il quelque peu son cabinet pour mener une intense campagne de proximité. « Heureusement, je suis installé en groupe, mes confrères s'occupent de mes malades et me soutiennent », dit-il.
La proximité, c'est aussi la ligne de conduite d'Elisabeth Guigou qui veut réussir à prouver aux Avignonnais que tout en étant au ministère, elle peut aussi être parmi eux. Aujourd'hui, comme tous les dimanches matin, elle retrouve des colistiers et des militants devant les halles. Interpellée par l'une de ces associations de proximité avec lesquelles elle trouve intéressant de travailler, elle explique : « Nous ne pouvons pas discuter comme ça de votre projet au coin de la rue, il faut faire une réunion. » Rendez-vous est fixé avant qu'elle ne soit prise à parti par un Avignonnais qui avance le principal argument anti-Guigou de la liste opposée : « Vous n'allez pas pouvoir être à la fois ici et au ministère. »« On n'est pas ministre à vie, et si je dois choisir, je choisirai de toute façon Avignon. Mais c'est un faux problème car personne ne peut tout faire tout seul. Moi, je sais animer une équipe, j'en ai une excellente ici et une excellente au ministère. Je serai là chaque semaine pour faire une réunion dans chaque quartier, avec les autres élus et les gens concernés, et cela tout au long de mon mandat, pas seulement trois semaines avant les élections comme la majorité municipale actuelle. ».
L'affaire des Kurdes
Mains dans les poches, Elisabeth Guigou franchit ensuite seule la porte du grand marché couvert, aussitôt abordée par une jeune femme au bord de la crise de nerfs : « Qu'est-ce que je peux faire ? Voilà quatre ans que nous avons acheté un camion pour faire du transport, on a suffisamment de clients, mais je ne peux plus payer l'assurance, l'URSSAF, tout cela. On me dit que j'aurais dû prévoir ces sommes, mais je ne pouvais pas prévoir que le camion allait tomber en panne. »
Des badauds s'arrêtent pour tendre l'oreille. Elisabeth Guigou entraîne la jeune femme à l'écart, lui pose quelques questions, l'écoute longuement, lui chuchote quelques conseils, lui donne un contact et lui souhaite bon courage avant de se pencher amicalement vers une petite vieille qui l'agrippe par le bras.
En revanche, la ministre est plus sèche avec des journalistes suisses, qui tentent de l'accaparer pour parler des réfugiés kurdes échoués sur la côte, pas très loin d'ici. La veille, entre une visite dans un local de jeunes de la cité de la Croix des Oiseaux et le jeu de boules du parc Saint-Roch, elle a fait un aller-retour à Saint-Raphaël pour se rendre compte de la situation, mais « pour le moment, dit-elle , je fais les halles, je suis candidate aux municipales et je ne mélange pas ». Rendez-vous leur est tout de même donné plus tard dans un café voisin. En une heure, elle n'a encore franchi qu'une dizaine de mètres à l'intérieur du marché et continue à être abordée par les passants. Une adolescente lui serre la main, en lui disant qu'elle aussi s'appelle Elisabeth ; un couple lui offre un bouquet acheté à la boutique voisine, une famille demande à être photographiée à ses côtés. Son propre fils et son mari parviennent à l'aborder pour l'embrasser et lui signaler leur arrivée. Un moment d'accalmie lui permet de s'approcher du marchand de tartes et pizzas où elle achète un gros gâteau aux pommes.
« Ce n'est pas pour moi », se justifie-t-elle auprès de la commerçante qui ironise sur sa gourmandise. « Nous faisons à midi un déjeuner avec tous ceux qui sont sur ma liste et leur famille ; chacun apporte quelque chose et moi j'ai été chargée du dessert. » Elle est interrompue par des écologistes qui lui remettent une étude sur les dangers de Marcoule, Cadarache et le projet d'enfouissement des déchets nucléaires : « Une folie pure », insistent-ils. « Je vais faire analyser cela et on se rencontrera après les élections », promet-elle. C'est avec la même attention que, quelques minutes plus tard, elle écoutera un représentant de comité d'intérêt de quartier lui parler des crottes de pigeon. « Pour les gens, c'est important aussi », dit-elle. Tout comme le sont les plaintes sur le bruit, la fermeture de lieux d'accueil pour les jeunes dans les quartiers difficiles, les problèmes de voisinage, de transport, d'assainissement de l'eau ou de cantine scolaire : autant de doléances qui accompagnent ses visites dans la ville.
Réunions d'appartement
Pas un quartier, pas une structure d'accueil ne semblent devoir échapper à l'attention de la ministre-candidate : tout à l'heure, après avoir terminé son tour de marché, elle rencontrera une foule d'Avignonnais qui l'attendent, comme chaque dimanche, à sa permanence pour le traditionnel « verre de l'amitié », elle déjeunera sur le pouce avec ses colistiers, puis ira au loto des Arméniens et au thé dansant d'un club du troisième âge, avant de participer à une réunion interne pour mettre la dernière main au programme électoral officiel. « On a pris du retard, mais en face, ils n'ont même pas encore arrêté leur liste », s'excuse-t-elle. Avant de reprendre son avion du lundi soir pour Paris, elle passera encore une heure ou deux dans une maison de personnes âgées, rendra visite au local des cheminots et tiendra une conférence de presse. Certains week-ends (toujours prolongés) elle participe également, comme ses colistiers, à des « réunions d'appartement » chez des sympathisants qui invitent dix à vingt personnes de leur quartier, ou à des réunions catégorielles : les commerçants, les médecins... Lesquels étaient une trentaine à répondre à l'invitation « et ils en sont sortis tout à fait convaincus de son efficacité et de sa maîtrise des dossiers », affirme le Dr Peyre. Lui-même ne pense « que du bien » d'Elisabeth Guigou-ministre : « En quelques mois, elle a acquis une connaissance des moindres problèmes, c'est vraiment exceptionnel. » Elu MG-France à l'Union régionale des médecins libéraux, il connaît bien les problèmes du monde médical mais ne veut pas encore débattre de ces questions avec elle : « Ce n'est ni le lieu ni le moment. On aura plus de temps plus tard. »
Un programme « très santé »
Bonne écoute du terrain (et de ses médecins) ou déformation ministérielle ? Toujours est-il que la santé et la solidarité constituent les lignes maîtresses du programme avignonnais d'Elisabeth Guigou et de sa liste gauche plurielle.Un programme d'ailleurs intitulé : « Pour une ville plus solidaire à tous les âges de la vie. »
Parmi les principales propositions-santé : des « pôles de santé de proximité » implantés dans les quartiers périphériques où se retrouvent souvent les populations les plus précaires. Il s'agit « d'introduire une cohérence » entre les différents acteurs qui agissent dans le domaine de la santé : professionnels, associations et acteurs publics, non seulement pour une médecine de soins mais aussi pour la prévention, l'éducation à la santé et le développement d'actions d'amélioration du cadre de vie pour apporter « une réponse palliative » immédiate aux problèmes les plus criants.
Parce que « dans cette ville, la misère et l'exclusion côtoient la richesse », le programme de la liste Guigou s'engage, avec le Conseil général (Avignon va voter aussi pour les cantonales), à améliorer les centres d'accueil et « optimiser les conditions d'une insertion durable ».
Par ailleurs, un pôle de santé spécifiquement dédié aux jeunes sera construit à partir d'un projet initial de « Maison des jeunes et de la santé » incluant accueil, écoute et information.
Les personnes âgées ne sont pas oubliées, avec des réponses adaptées à chaque situation, s'appuyant notamment sur les aides au maintien à domicile et sur la nouvelle prestation autonomie.
Des initiatives devraient être prises pour rompre l'isolement des personnes âgées, avec encouragement au développement des liens de voisinage et des liens intergénération : réseaux d'échange et de savoir, parrainage de jeunes, soutien scolaire. Le programme évoque même la possibilité d'ouvrir des crèches au sein des « Maisons paisibles », petites structures d'accueil de personnes âgées au sein des quartiers, dont la liste Guigou dénonce la fermeture programmée par l'actuelle municipalité. Un « office public de la sécurité » serait ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec intervention dans les difficultés de voisinage.
Un chapitre du programme est réservé aux personnes handicapées, avec plan pluriannuel de mise aux normes d' accessibilité des lieux publics, des transports et des logements.
Les manifestations des infirmières spécialisées
Les infirmières spécialisées qui sont en grève depuis le 9 janvier pour demander des revalorisations salariales, n'ont pas manqué de manifester à plusieurs reprises en Avignon, pour attirer l'attention de la ministre, des médias et de l'opinion sur leurs revendications. Elles doivent normalement être reçues lundi prochain par le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner.
En attendant, mercredi, elles n'ont pas raté l'arrivée en Avignon de Lionel Jospin, venu soutenir sa ministre, et qui a dû traverser le centre de la ville derrière un double cordon de CRS, et sous les huées des manifestants, qui scandaient « avec Jospin, notre diplôme ne vaut plus rien ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature