Balthus, une œuvre singulière

ARTS

PAR JEAN-JACQUES LEVEQUE

N E en 1908, de son vrai nom Balthus Klossowski de Rola, il est fils d'un critique d'art et d'une mère peintre. Il est très jeune familiarisé avec des artistes comme Derain, Roussel ou Bonnard, et c'est Rainer Maria Rilke qui fait publier ses premiers dessins. Admirateur inconditionnel de Piero della Francesca, il porte un regard sur la réalité urbaine qui ne cède rien à la modernité partout autour de lui célébrée.

Paradoxalement, et bien que rien dans son art n'en justifie le parrainage, il est proche du surréalisme alors que sa peinture participe plutôt de certains courants figuratifs de l'entre deux guerres autour de « Forces Nouvelles », dont il conviendrait aujourd'hui de reconnaître l'importance. Un courant qui a plutôt des attaches avec le réalisme minutieux et fantastique des allemands Otto Dix, Beckmann ou Georges Grosz. Balthus y fait passer progressivement un rien de perversité.
Ami de Georges Bataille, d'André Pieyre de Mandiargues, il explore une intimité hantée par des Lolita tranquilles et, d'un pinceau sensuel, décrit les émois adolescents. Son œuvre de dessinateur est particulièrement attachante tant il sait faire passer dans le moindre trait cet exquis « tremblement du temps ». On lui doit les étonnantes illustrations pour le livre culte d'Emily Brontë : « Les Hauts de Hurlevent », les décors des Cenci, monté par Antonin Artaud, ceux de « Cosi fan tutti » pour le festival d'Aix-en-Provence et les pièces d'Albert Camus, « la Peste » et « l'Etat de siège ». Grâce à l'amitié d'André Malraux, il est directeur de la Villa Médicis à Rome, de 1961 à 1976, réveillant cette digne institution d'une longue léthargie.
Très retiré de la vie publique, il terminait ses jours dans son chalet en Suisse, laissant une œuvre qu'il faudra maintenant revisiter avec toute la majesté et la distance que lui confère la mort de son auteur. Elle apparaîtra comme l'une des plus singulières du siècle, sinon l'une des plus capitales. Dans le respect d'une tradition qui vient tout à la fois de Poussin, de Courbet et de Degas. La peinture de chevalet a ses grands célébrants.