I L est 4 h 10, samedi 17 février, quand le Dr Jean-Jacques Raymond est réveillé par le SAMU de Toulon, qui a été prévenu, par le centre opérationnel départemental d'incendie et de secours, de l'échouage d'un bateau de réfugiés sur la plage de Boulouris à Saint-Raphaël.
Le praticien est de garde en cas de Plan de secours. Si une catastrophe se présente, il doit assurer la direction des secours médicaux. Tout va alors très vite. Le médecin régulateur du 15 lui demande de se rendre à l'hôpital.
« J'arrive là-bas, explique-t-il au « Quotidien », à 4 h 30. Nous entrons en relation avec le centre régional de réception et d'organisation de sauvetage en mer. A 4 h 45, ils viennent au SAMU avec Dauphin Service public, un hélico de la marine nationale chargé de la sécurité en mer. Nous prenons place, un confrère urgentiste, moi-même et une infirmière, aux côtés du pilote, du copilote, d'un mécanicien et d'un plongeur. Il fait nuit noire. Nous devinons un bâtiment échoué sur les rochers. Ne sachant pas à qui nous avons affaire, il est décidé que je ne serai pas hélitreuillé. Je suis déposé à un kilomètre à peine de l'épave, et repris par les pompiers. Sur place, tout s'organise. Le chef de corps des sapeurs-pompiers de Saint-Raphaël s'occupe de la logistique. Un PC mobile des ambulances vient de se constituer. »
« Saisis par une vision d'horreur »
« Sur la plage, poursuit le médecin, je découvre une vingtaine de réfugiés. Arrivés à la nage, ils ont froid, mais leur santé n'inspire pas d'inquiétude. En anglais, un homme nous dit qu'ils ont voyagé en mer pendant six à huit jours. Ils ne savent pas où ils se trouvent et ne se connaissent pas tous entre eux. Avec deux zodiaques des plongeurs et sapeurs-pompiers et deux vedettes de la Société nationale de sauvetage en mer, qui compte un médecin, nous accostons le navire. Sur le pont, des gens attendent, pas du tout agressifs. Grâce à une échelle, découverte par hasard, j'accède, en compagnie du commissaire de police, à une immense cale. Nous sommes saisis par une vision d'horreur et une odeur insupportable, irrespirable. Une sorte de corridor délimite l'espace, d'où s'échappent, dans la quasi-obscurité, beaucoup de pleurs d'enfants. Il n'est pas possible d'approcher, encore moins de progresser entre les amas de corps, que nous évaluons entre 1 000 et 1 200. Une petite houle se lève, en même temps que le jour ; la coque cogne les rochers. Aussi, les pompiers s'emploient-ils à assurer un amarrage efficace, avant de déployer une passerelle dont ils fixent l'extrémité à la falaise. Pendant ce temps, poursuivant nos investigations avec le commissaire, nous ouvrons une trappe située à la proue, d'où nous remontons une centaine d'enfants. Autant que faire se peut, nous regroupons les petits et leurs mères. Nous apprenons que trois accouchements ont eu lieu, à fond de cale, lors des huit jours de navigation » (entre Iskenderun, en Turquie, et Saint-Raphaël - Fréjus).
« Sur le pont, maintenant, nous avons du mal à nous déplacer, raconte encore le Dr Raymond . Nous pouvons constater, d'ores et déjà, qu'il n'y a pas de dégâts d'un point de vue médical, mais humainement la situation est intolérable, insoutenable. Un pompier a mis le doigt sur une brèche, à l'avant, de la grosseur d'une balle. Le moment est venu de procéder au débarquement. Les hommes et les plus robustes s'engagent les premiers. Quelques-uns paraissent épuisés, mais un seul, un grand-père, sera brancardé. »
Sur terre, les secouristes sont chacun à son poste. A Toulon, le Dr Arzalier, chef de service, supervise les faits et gestes du SAMU. Le Dr Jean-Jacques Raymond, lui, navigue entre les réfugiés qui quittent le bateau et le poste médical avancé (PMA). Il a demandé à l'un de ses confrères du SAMU d'opérer un tri entre les valides, l'immense majorité, qui pourtant n'ont pour ainsi dire ni bu ni mangé pendant le voyage, et ceux qui nécessitent éventuellement des examens. A 7 h 35, le premier patient est admis au PMA ; comme les 22 suivants (11 enfants dont 2 nouveau-nés et 10 femmes), il s'agit d'états de dénutrition modérée, de syndromes fébriles ou de douleurs abdominales (pancréatite). « Des urgences relatives, mais pas d'urgences absolues. » Huit gamins seront évacués, en ambulance non médicalisée, sur l'hôpital de Fréjus, dont 4 en présence de leur mère.
Mission accomplie
A 14 heures, le PMA n'a plus de raison d'être. Douze médecins, dont 2 des pompiers, un pédiatre, un hospitalier, un libéral (voir ci-dessous) et 8 urgentistes du SAMU s'y sont relayés. Sans oublier 8 infirmières, 3 aides-soignants et une secrétaire. La chaîne médicale in situ a bien fonctionné, avec efficacité.
Pour autant, tout n'est pas fini. La solidarité ne faiblit pas, La Croix-Rouge distribue eau, biberons, lait et rations alimentaires. Onze autobus sont réquisitionnés, par ailleurs, pour conduire les 900 réfugiés restants chez les marsouins du 21e Régiment d'infanterie de marine (RIMA) de Fréjus. Il revient alors au médecin militaire du camp de veiller aux petites gastros et autres fièvres. Médecins du Monde, de son côté, se voit confier « toute la bobologie », conclut le Dr Jean-Jacques Raymond qui lèvera le camp à 17 h 25, sûr que la mission accomplie est sous le choc du drame. La plupart des naufragés viennent de Mossoul, dans le nord de l'Irak, « où les Kurdes sont promis à la mort et à la torture ».
Le récit du Dr Matelin
C'est en écoutant France-Info, à 6 h30, samedi, que le Dr Daniel Matelin, généraliste à Saint-Raphaël, a appris « la catastrophe ». « Le temps de réfléchir, et j'ai appelé la police municipale, qui m'a renvoyé sur le médecin des pompiers », dit-il au « Quotidien ». « "Bien sûr, ton renfort n'est pas inutile, tu peux venir", m'a répondu mon confrère. » Sur place vers 9 h 30, le médecin de famille prend contact avec le PC et le PMA, installés sur la route nationale et « déjà très opérationnels ». « En contrebas, les naufragés sont accroupis dans la crique. Sous la tente du poste médical avancé, je découvre des tables d'examen et tout le matériel nécessaire. Les patients sont amenés sur des coques de plastique par les pompiers. Les enfants sont adressés majoritairement à une consur pédiatre. Pour ma part, je ne suis pas débordé. Je verrai une petite fille, avec un mal de gorge, plus apeurée qu'autre chose, un monsieur âgé déshydraté et une dame stressée. Enfin, je pense avoir rendu service. J'ai été impressionné par la résignation de ces gens. Des femmes et des hommes solides, cependant. Donnant l'impression d'être organisés, solidaires dans leur malheur. Tout malade qui venait au PMA était systématiquement accompagné d'un membre de sa famille. Personne n'était seul dans ce naufrage. »
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