O N sait que, chez les patients cancéreux, la principale cause de l'échec du traitement et du décès est l'existence de métastases.
On sait aussi, depuis le début du XIXe siècle, que les tumeurs secondaires sont constituées de cellules relarguées par la tumeur primitive et véhiculées par le courant lymphatique et la circulation sanguine. On sait encore que certains organes sont truffés de métastases, alors que d'autres restent indemnes. Par exemple, le cancer du sein est caractérisé par sa capacité à métastaser dans les ganglions lymphatiques régionaux, la moelle osseuse, les poumons et le foie. Pourquoi ? L'équipe de Müller apporte aujourd'hui dans « Nature » une réponse moléculaire à ce vieux mystère : des facteurs solubles libérés en grandes quantités par certains organes peuvent attirer les cellules tumorales circulantes pour les forcer à s'établir dans ces organes.
Une chimiokine dans l'organe cible, son récepteur sur la tumeur
Les auteurs ont en effet identifié, d'une part, des facteurs solubles vers lesquels les cellules de cancers du sein sont attirées, d'autre part, des récepteurs protéiques au niveau de ces cellules.
Jusqu'à présent, on avait trois théories majeures pour expliquer les métastases :
- première théorie : les cellules tumorales quittent les vaisseaux lymphatiques et sanguins au niveau de tous les organes, mais elles ne se multiplient que dans ceux qui possèdent les facteurs de croissance appropriés ;
- deuxième théorie : les cellules endothéliales vasculaires des organes cibles expriment des molécules d'adhésion qui stoppent les cellules tumorales ;
- troisième théorie : les organes cibles produisent des molécules solubles qui forcent les cellules tumorales à franchir les parois vasculaires et à les envahir.
Maintenant, l'équipe de Müller apporte donc une nouvelle réponse : facteurs chimio-attractifs dans les organes cibles et récepteurs correspondants dans les cellules tumorales.
Dans un premier temps, les auteurs ont conduit leur étude sur des cellules de cancer du sein humain. Ils ont découvert un couple récepteur-chimiokine : récepteur CXCR4 et chimiokine correspondante CXCL12. En effet, le récepteur CXCR4 est exprimé bien davantage dans le sein cancéreux que dans le sein normal, et la chimiokine CXCL12 est exprimée dans les lymphatiques, la moelle osseuse et les poumons, tissus dans lesquels le cancer du sein métastase préférentiellement. Les auteurs montrent également que CXCL12 stimule les cellules cancéreuses qui présentent alors les caractéristiques d'un pouvoir invasif : apparition de pseudopodes, migration dirigée, capacité à franchir la matrice extracellulaire.
L'effet protecteur d'anticorps anti-CXCR4
Dans un deuxième temps, après avoir inoculé à des souris immunodéficientes des cellules tumorales mammaires humaines, les chercheurs ont réussi à empêcher les métastases dans du tissu pulmonaire riche en CXCL12, grâce à l'administration d'anticorps neutralisant l'activité de CXCR4.
Forts de ce résultat, les auteurs estiment que de petites molécules antagonistes des récepteurs aux chimiokines pourraient un jour être utiles pour traiter les patientes. Toutefois, on ne sait pas si ces molécules pourraient être efficaces chez les patientes qui ont déjà des métastases.
Il reste plusieurs questions à résoudre, notamment celle-ci : quand les cellules tumorales mammaires acquièrent-elles le récepteur CXCR4 ? Il serait intéressant de voir si les taux de CXCR4 sont déjà élevés dans les lésions précancéreuses du sein, alors que les cellules n'ont pas encore leur potentiel métastatique. Si CXCR4 n'est pas encore exprimé dans les lésions précancéreuses, cela pourrait signifier que CXCR4 et CXCL12 peuvent constituer des cibles pour une chimioprévention, bloquant la conversion des cellules précancéreuses en cellules cancéreuses invasives.
« Nature » du 1er mars 2001, pp. 50-56 et 24-25 (éditorial de Lance Liotta).
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