E N matière d'immunothérapie anticancéreuse, la plupart des travaux sont fondés sur des peptides immunogènes spécifiquement tumoraux, exprimés et présentés de diverses manière pour induire une réponse de type cellulaire.
L'équipe de l'Institut Pasteur s'est engagée dans une voie distincte, mais qui pourrait se révéler complémentaire. L'antigène cible, en effet, n'est plus un peptide, mais un saccharide, induisant des anticorps. Il s'agit d'un antigène, dit Tn, spécifiquement exprimé à la surface de cellules tumorales, où se produisent un certain nombre de modifications des processus de glycosylation. Ces sucres antigéniques, dont, au passage, le rôle dans la dissémination tumorale n'est pas exclu, font d'ores et déjà l'objet de plusieurs tentatives cliniques en immunothérapie, menées avec des vaccins conjugués. Le sucre, petite structure rattachée à un support protéique important, semble toutefois peu immunogène. L'équipe de Pasteur a donc abordé le problème différemment, en synthétisant un composé immunogène original, constitué d'un squelette carboné sur lequel sont greffés les antigènes, par l'intermédiaire d'un court peptide, lui-même immunogène. Schématiquement, le composé affecte une structure en H, présentant un épitope à chacune de ses quatre extrémités.
Ce composé s'est révélé immunologiquement très actif et capable d'induire des anticorps contre les cellules tumorales qui portent l'antigène Tn. En contexte prophylactique, la vaccination a permis de protéger des proportions de souris comprises entre 70 et 90 % contre le développement d'une tumeur greffée secondairement. En contexte d'immunothérapie - qui serait le contexte clinique éventuel -, environ 80 % des animaux ont rejeté la tumeur greffée. Claude Leclerc, qui dirige l'équipe de l'Institut Pasteur, souligne que ces tests ont été menés avec des tumeurs très agressives (adénocarcinome mammaire), dont les souris meurent en une trentaine de jours. L'immunisation est donc non seulement efficace contre ces tumeurs, mais efficace dans un délai remarquablement court. Il faut, en outre, noter que le vaccin testé avec succès comportait pour unique adjuvant l'hydroxyde d'aluminium, seul adjuvant autorisé pour les vaccins humains.
Actuellement, et pour les prochains mois, les essais se poursuivent chez des souris transgéniques qui expriment un HLA-DR humain. Mais en cas de confirmation des premiers résultats se posera la question des essais cliniques.
Un éventuel vaccin humain découlerait très directement du composé testé chez l'animal. Le sucre Tn restant constant, il suffirait en effet de substituer aux peptides de liaison avec le squelette carboné des peptides capables de stimuler des réponses CD4+ chez l'homme, indépendamment du groupe HLA. On envisage un motif antigénique du tétanos, ou un motif artificiel. Mais, dans tous les cas, la synthèse ne serait pas un obstacle. Pas d'obstacle non plus, a priori du moins, du côté de la toxicité, aucun effet secondaire n'ayant été relevé chez la souris.
Enfin, les indications. On peut penser qu'une indication privilégiée serait le cancer de la prostate, qui exprime Tn fréquemment et fortement. Mais l'antigène est également porté par des cancers du sein, du côlon, du poumon. Concrètement, donc, il resterait à obtenir la participation de cliniciens et à faire fabriquer le composé en quantité et qualité adéquates pour un essai. Autrement dit, il faudra un partenaire industriel.
Avec toute la prudence qui s'impose, l'équipe de l'Institut Pasteur réfléchit déjà à cette étape. Des essais cliniques préliminaires pourraient d'ailleurs eux-mêmes déboucher sur des essais de vaccins couplés, induisant simultanément une immunité cellulaire et une immunité humorale : la voie la plus prometteuse, selon Claude Leclerc.
R. Lo-Man et coll. « The Journal of Immunology », 2001 ; 166.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature