S I le président de la République et le Premier ministre comptaient sur le résultat des élections municipales pour en faire le tremplin de leur campagne présidentielle, ils devraient être également déçus.
Lionel Jospin a essuyé le coup le plus rude : il a perdu beaucoup de villes de gauche. Jacques Chirac n'en est pas plus épargné : il a perdu Lyon et surtout Paris dont le basculement met fin à un quart de siècle d'hégémonie du RPR, mieux de chiraquisme, sur la capitale. C'est donc le prestige même du chef de l'Etat qui est atteint aux yeux de l'opinion publique, pour qui ce revers, quoique largement pressenti, est spectaculaire.
Les critiques adressées au chef de l'Etat par certains membres de la majorité, dont Dominique Paillé (UDF) qui a raillé les qualités de stratège de M. Chirac, montrent bien que les feux de la division ne sont pas éteints dans l'opposition. La candidature à la présidentielle de François Bayrou, président de l'UDF, est renforcée par quelques victoires que ce parti a remportées aux municipales. Le principe de la fusion est dénoncé par bon nombre de parlementaires, notamment Roselyne Bachelot, qui citent Lyon en exemple. Le président va avoir beaucoup de mal à rassembler toutes les troupes de droite autour de son nom et à s'imposer comme le seul candidat valable à l'élection présidentielle.
Le PC bousculé
M. Jospin est plus à l'aise avec les composantes, pourtant turbulentes, de sa majorité plurielle. Mais il sait que, après avoir reçu un camouflet aux municipales, le Parti communiste n'a d'autre choix que de remettre en question son propre chef, Robert Hue, déjà violemment critiqué par quelques militants et, peut-être, sa participation au gouvernement, sujet sur lequel M. Hue pourrait être mis en minorité. De toute façon, le PC est victime d'un effritement alarmant de son électorat. Et chaque fois qu'il a été en crise dans le passé, il a cherché une issue dans sa propre radicalisation.
Le Premier ministre ne verra sans doute pas d'inconvénient à accroître la présence des Verts dans son gouvernement. Comme on l'a vu à l'occasion des municipales, notamment à Paris, ils n'acceptent de nouveaux postes que si leur programme est pris en compte. Ce ne sont donc pas seulement des hommes ou des femmes différents que M. Jospin devra recruter, mais des idées qu'il lui faudra inclure dans son programme gouvernemental pour les douze mois qui viennent.
On ne saurait dire que la tâche est insurmontable. C'est la lisibilité de l'avenir immédiat qui pose problème, la confusion provoquée par la mêlée des municipales et des messages contenus dans les résultats. L'indépendance de l'électorat crée un paramètre nouveau dans un tableau de crise : incertitude sur la croissance, désastres agricoles, inondations répétitives, les facteurs négatifs ne manquent pas. M. Chirac peut attendre une occasion. M. Jospin, lui, doit gérer le pays jour après jour sans perdre de vue son objectif présidentiel. Sa position est moins confortable parce que l'action gouvernementale expose nécessairement ceux qui en sont responsables à des difficultés ou à des revers, pendant que le président de la République, candidat à sa réélection, peut commenter à loisir les erreurs éventuelles du Premier ministre.
Toutefois, M. Chirac a déjà beaucoup utilisé cette tactique et, même s'il a souvent offert d'excellents arguments, les Français savent qu'il n'influe pas sur les grands chantiers gouvernementaux, comme les 35 heures. Mais son vrai talon d'Achille, c'est son incapacité apparente à rassembler le « peuple de droite » dont les municipales viennent de prouver qu'il n'existe pas moins que le peuple de gauche. Peut-on suggérer ici que le président a un problème de crédibilité ? Son erreur colossale de 1997 reste dans toutes les mémoires ; son analyse critique des décisions du Premier ministre n'est pas toujours bien inspirée ; s'il a su garder Paris pendant 25 ans, il s'est quasiment acharné à le perdre, d'abord en faisant le choix de son successeur à la mairie, ensuite en le désavouant et en envoyant à la bataille un homme qui, en dépit d'une très forte carrure politique, a mis en uvre la stratégie la plus compliquée du siècle.
La droite souffre en outre d'une pléthore de stars de la politique et d'une non moins nombreuse liste de courants, tendances et mouvements : non seulement le RPR n'est pas vraiment uni (on y guerroie ferme), mais l'UDF de M. Bayrou, elle-même très divisée, constitue objectivement un défi à la toute-puissance de M. Chirac, et Alain Madelin est un électron libre. Bayrou, Madelin, Charles Pasqua, Philippe Séguin peut-être, et Edouard Balladur qui, s'il était plus populaire, apparaîtrait comme un rival très sérieux pour M. Jospin, sont tous candidats potentiels à une primaire. Cela fait beaucoup de monde à rallier sous un seul panache.
Il faut un programme
Et puis, il manque à la droite non seulement une forme durable et stratégique d'unité, mais un programme. Cette carence est en partie le produit de quelques années de cohabitation : M. Chirac a passé beaucoup de temps à démolir (au niveau du verbe) l'action de M. Jospin, il ne semble pas avoir pris celui de rédiger une plate-forme couvrant tous les dossiers actuels, de la fiscalité aux retraites en passant par la sécurité. L'absence de programme vient aussi de ce que ce pays consomme beaucoup de leaders, tout occupés, après leur passage au pouvoir, à se ménager un espace vital, sans avoir pour autant imposé leurs idées à l'ensemble de la droite.
M. Balladur l'aurait fait si on le lui avait permis. M. Chirac, s'il veut être réélu, doit donc annoncer dans les mois qui viennent les principes sur lesquels il entend fonder son action et les solutions qu'il compte apporter aux crises qui nous menacent. Au fond, l'échec d'une tactique électorale n'est pas nécessairement la fin du monde. Ce qui compte, c'est de se présenter à un poste électif avec des idées claires et concrètes. Pour le moment, les Français sont globalement satisfaits des 35 heures et de la croissance. M. Chirac doit donc apporter les moyens de terrasser la crise économique qui s'annonce, d'en finir avec le drame du monde paysan, de rétablir la sécurité dans la cité, de lutter contre la pollution industrielle par des méthodes presque révolutionnaires sans pour autant plonger le pays dans la récession, bref d'oublier la politique politicienne. Alors, peut-être aura-t-il de bonnes chances.
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