L A chirurgie ftale est une question aussi difficile au plan technique qu'au plan éthique, et qui se trouve être largement conditionnée par le cadre juridique donné à l'interruption de grossesse. Il faut en fait distinguer la chirurgie à utérus ouvert des gestes que l'on commence à effectuer sous foetoscopie. C'est la première qui pose problème. Elle se développe aux Etats-Unis, où l'interruption médicale de grossesse ne peut être pratiquée au-delà de la 22e ou 24e semaine de grossesse, selon les états. Des tours de force sont d'ailleurs réalisés par les chirurgiens, qu'il s'agisse du clipage de la trachée, pour tenter d'éviter l'hypoplasie pulmonaire en cas de hernie diaphragmatique, de l'excision de tumeurs ou de la fermeture de spina bifida. Le pronostic de ces interventions n'en reste pas moins extrêmement aléatoire, tant pour l'enfant que pour la mère, hypothéquant les grossesses futures dans un utérus portant deux cicatrices (la naissance s'effectue systématiquement par césarienne). Sachant, par ailleurs, que l'intervention à utérus ouvert ne peut être effectué qu'à partir de la 20e ou 22e semaine, et comporte un risque élevé de naissance prématurée, le temps gagné in utero peut être bien court.
On comprend évidemment que les médecins américains mettent en uvre toutes les techniques possibles, y compris les plus invasives, une fois dépassé le délai légal d'interruption de grossesse. Mais c'est une question de contexte.
Il importe de suivre la malformation
En France, comme le dit le Pr Claire Fékété, « la médecine foetale a pris une autre direction ». La possibilité d'effectuer une interruption médicale de grossesse jusqu'au dernier moment, a poussé à s'intéresser au pronostic. Puisque c'est au troisième trimestre que l'argument évolutif est le plus important pour affirmer l'existence de séquelles ultérieures, il importe de suivre la malformation, et non simplement de la diagnostiquer.
« On peut baisser les bras jusqu'au dernier moment », affirme le Pr Yves Dumez (hôpital Necker). Mais au moins le fait-on en connaissance de cause, du moins le plus possible.
Cette attitude, en fait, sauve des enfants. Un contre-exemple est donné par le Portugal, où l'interruption de grossesse pour raison médicale, qui ne peut intervenir au-delà de dix-huit semaines, parait discutable dans bien des cas, étant pratiquée avant qu'il n'ait été possible d'établir solidement un mauvais pronostic. Selon le Pr Dumez, sans la possibilité d'interruption tardive, on n'aurait ainsi jamais tenté - en France initialement -, le traitement de la toxoplasmose congénitale, pour s'apercevoir effectivement de l'absence de séquelles dans un certain nombre de cas.
La néonatalogie n'est pas pour autant condamnée à rester attentiste. Selon le Pr Dumez, toujours, « tout ce qui est non invasif est à notre portée ».
Les interventions sous ftoscopie
Des techniques d'intervention sous foetoscopie font actuellement l'objet de recherches. Lors du congrès de la fondation de l'Avenir, le Pr Jan Deprest en a donné deux exemples. Premièrement, en cas de grossesse gémellaire monochorionique et de syndrome transfuseur-transfusé, il apparaît possible de coaguler au laser, sous endoscopie, les anastomoses par lesquelles transite le sang, afin d'éviter le risque de rupture des membranes et de mort des deux ftus. Deuxièmement, en cas de hernie diaphragmatique compromettant le développement pulmonaire, la technique du clipage trachéal, utilisée par les Américains, pourrait être remplacée par l'insertion d'un ballonnet dans la trachée. L'obstruction trachéale vise à éviter l'hypoplasie pulmonaire en bloquant l'écoulement du liquide emplissant le poumon durant la vie ftale, et en provoquant une contre-pression. Cette obstruction semble elle-même génératrice d'un déficit en surfactant pulmonaire à la naissance. L'indication demande donc à être soigneusement pesée. Il reste que l'implantation d'un ballonnet sous endoscopie est en soi incomparablement moins invasive que le clipage « à utérus ouvert ». La technique est encore très expérimentale, et ne serait vraisemblablement pratiquée en France qu'en dernier recours. Mais elle illustre bien ce qu'il semble raisonnable d'entreprendre pour améliorer le pronostic de l'enfant, sans handicaper les chances de grossesse future.
La table ronde consacrée à la chirurgie ftale réunissait le Pr Claire Fékété, chef du service de chirurgie infantile à l'hôpital Necker, le Pr Francis Brunelle, chef du service de radiologie pédiatrique à l'hôpital Necker, le Pr Jan Deprest, professeur d'obstétrique et gynécologie à la faculté catholique de Louvain, le Pr Alan Flake, directeur du Children's Institute for Surgical Science, Philadelphie, le Pr Yves Dumez, chef du service de maternité à l'hôpital Necker.
D'un côté, le couple, de l'autre, le foetus
Interrogé sur la différence d'attitude de part et d'autre de l'Atlantique, le Pr Alan Flake, qui dirige l'institut de chirurgie infantile de Philadelphie, s'est dit d'accord avec les arguments français. Il reste que, aux Etats-Unis, « la seule option est de tenter d'aider le couple ou non, sans autre recours ».
Si les médecins se comprennent, il semble, en revanche, exister une véritable différence de mentalité entre populations. Et Alan Flake de rapporter le cas d'un couple mixte, dont le ftus, atteint d'une anomalie neurologique, présentait un risque de séquelles de l'ordre de 15 % : la mère, française, voulait interrompre sa grossesse, mais non le père, américain.
Selon le Pr Fékété, la préoccupation en France est : « Comment va vivre l'enfant ? ». Le consentement éclairé des femmes à une chirurgie à utérus ouvert, très aléatoire du point de vue pronostic, n'est ainsi que rarement obtenu.
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