LE QUOTIDIEN - Est-ce que la maîtrise médicalisée, comme les références médicales opposables (RMO) mises en place en 1993-1994, peuvent vraiment permettre de tenir les objectifs de dépenses d'assurance-maladie ?
CLAUDE LE PEN - Je ne crois pas que le système de références médicales opposables soit un dispositif de maîtrise des dépenses de santé. C'est avant tout un outil d'amélioration de la qualité des soins.
Il est vrai que, pour beaucoup de décideurs, améliorer la qualité des soins, c'est faire des économies. C'est partiellement vrai. La qualité, ce n'est pas seulement supprimer les soins inutiles, c'est aussi augmenter les dépenses pour ceux qui sont utiles.
Le but des RMO, de la maîtrise dite médicalisée, serait davantage l'efficience que la maîtrise. Le problème, c'est qu'il y a confusion entre deux objectifs : l'objectif d'améliorer la qualité à dépenses constantes, voire croissantes, et celui de contrôler la croissance des dépenses.
Au plan politique, on n'a pas intérêt à clarifier les deux termes du débat.
Comment pourrait-on concrètement mettre en uvre aujourd'hui la responsabilité individuelle des professionnels ?
On était venu à la responsabilité collective dans les plans post-Juppé, par manque de moyens techniques, en particulier de systèmes d'information, pour suivre l'activité individuelle des médecins.
Mais personne n'a jamais dit que la responsabilité collective était un bon système. Elle a été en fait instituée « par défaut ».
La responsabilité individuelle, cela signifie d'abord que des médecins s'engagent à prescrire avec tact et mesure - mais ils le font presque automatiquement par déontologie - et à prendre éventuellement des sanctions contre ceux qui ne respectent pas cette règle.
Il est envisageable d'avoir des contrats d'objectifs avec les médecins, notamment en prônant le déconventionnement comme sanction ultime. Mais je crois que c'est très compliqué à faire dans un cadre très centralisé comme le nôtre, où il faut à la fois suivre l'activité de 150 000 médecins libéraux, spécialistes et généralistes, contrôler et discuter avec eux, et alors que la sanction envisagée est une arme atomique, puisque, au fond, le déconventionnement aboutit pratiquement à une interdiction de l'exercice professionnel.
C'est pour cette raison pragmatique qu'on avait adopté la globalisation de la sanction, sous la forme d'enveloppes, de lettres clés flottantes ou de reversement, qui solidarisent les médecins.
Même s'il est vrai que la responsabilité individuelle, c'est vraiment la voie de la qualité.
Quels sont les obstacles à la mise en uvre de la responsabilité individuelle des professionnels de santé ?
Pour être efficace, elle se heurte aujourd'hui à trois éléments. Premièrement, l'absence de système d'information réellement performant sur les pratiques médicales individuelles (il est impossible, faute de codage affiné, de faire le lien entre les actes et les pathologies).
Deuxièmement, il manque une méthodologie d'évaluation, de contrôle qui ne soit pas policière : il s'agit de respecter la dignité des personnes que l'on contrôle et de ne pas les considérer a priori comme des délinquants. Ce n'est pas une mission impossible, certains pays l'ont montré.
Troisièmement, il faudrait un dispositif de sanctions graduées et de récompenses appropriées. Pour l'instant, la capacité d'action est très limitée [du fait de l'annulation par le Conseil d'Etat, en 1999, des barèmes de sanctions applicables aux généralistes et aux spécialistes en cas de non-respect des RMO, NDLR].
C'est possible techniquement de s'orienter dans cette voie, mais il faut aussi une volonté politique, avec conscience et constance, et que cela ne reste pas simplement un slogan politique ou électoral pour donner satisfaction aux médecins.
Le précédent de 1993-1994
Lorsque les syndicats médicaux CSMF et SML ont signé la convention médicale nationale de 1993, qui instaurait pour la première fois un système de « maîtrise médicalisée » des dépenses de santé, on a parlé d'une « révolution culturelle ». Les praticiens libéraux s'engageaient à respecter des références médicales opposables (RMO) élaborées sur 24 thèmes, sous peine de sanctions financières. Ces guides des bonnes pratiques médicales diagnostiques et thérapeutiques (commençant par la formule « Il n'y a pas lieu de... ») portaient essentiellement sur les prescriptions.
En 1994, année de l'entrée en vigueur des RMO, les dépenses de santé ont marqué une nette inflexion (les dépenses causées par les médecins libéraux n'ont augmenté cette année-là que de 1,9 %, alors que l'objectif avait été fixé à 3,7 %). Le CREDES évaluait, pour sa part, à 337 millions de francs d'économies l'effet des RMO en 1994. Mais il est difficile d'attribuer cette évolution - qui ne s'est pas poursuivie - à la seule maîtrise médicalisée, car tous les outils prévus par la convention d'octobre 1993 n'ont pas encore été mis en uvre.
C'est le cas du codage des actes et des pathologies, seul outil permettant, grâce à l'informatique, de suivre précisément l'activité des médecins libéraux. Si le codage existe déjà pour les médicaments et les actes de biologie, il faudra attendre la publication de la nomenclature actualisée pour le généraliser.
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