L E président de la République a donc accepté que le projet de loi sur la Corse fût inscrit au conseil des ministres de mercredi, une semaine après l'avoir refusé. M. Chirac n'a pas voulu, sur une affaire qui, comme plusieurs autres, irrite Lionel Jospin, faire de l'obstruction.
Il n'en a pas moins exprimé longuement ses réserves sur le projet, déjà épinglé par le Conseil d'Etat et qui pourrait l'être par le Conseil constitutionnel. Il a notamment souligné qu'il craignait une dérive indépendantiste de la Corse, qu'il s'opposait à l'enseignement obligatoire du corse et à l'exonération fiscale des successions pendant encore quinze ans.
Néanmoins, le chef de l'Etat approuve le principe de réformes spécifiques à la Corse, les transferts de compétence de l'Etat et le soutien à l'économie de l'Ile de Beauté par de nouveaux investissements.
Des arguments respectables
Le Premier ministre a répondu que le projet de loi ne distend pas les liens entre la Corse et la République et que rien, dans ce projet, « ne contredit nos principes constitutionnels » ; que l'avis du Conseil d'Etat ne « lie pas le gouvernement », que la démarche du gouvernement commence à produire des résultats, avec une régression de la violence. Au sujet de l'enseignement du corse, il cite un précédent, celui de la Polynésie, pour laquelle « une formule a été validée en 1996 par le Conseil constitutionnel » ; enfin, une fois encore, Lionel Jospin s'en remet au Parlement pour assurer le débat national que souhaite le président.
Le chef du gouvernement a cru bon, à cette occasion, de critiquer la politique corse conduite par ses prédécesseurs, et plus particulièrement ceux de droite. Il s'appuie sur un certain nombre de juristes qui ne voient pas dans le « transfert de compétences » une menace à l'unité de la République. Et il met en garde les détracteurs du projet en leur faisant savoir qu'il « n'est de l'intérêt de personne de compromettre » le projet.
On notera avec satisfaction que le débat sur le fond est engagé, et que s'affrontent en son sein des arguments respectables. Au conseil des ministres d'avant-hier, les deux têtes de l'exécutif ont mis de côté la politique politicienne et ont présenté des analyses dont il faut maintenant faire la synthèse. M. Jospin ne peut pas écarter d'une chiquenaude les réserves exprimées dans l'opposition. On peut aisément lui accorder le crédit qu'il ne souhaite pas engager la Corse sur la voie de l'indépendance ; mais lui, de son côté, ne doit pas s'orienter sur cette pente, de bon gré ou contre son gré. Le président de la République a fort bien dit que la France est un pays beaucoup trop centralisé ; la décentralisation, toutefois, ne saurait se limiter à la Corse, car cela en ferait un cas d'exception. Pour que l'opinion soit convaincue que la Corse ne va pas larguer les amarres qui l'arriment à la France, il suffit de faire en sorte que les réformes qui seraient acceptables pour la Corse le seraient aussi pour d'autres régions.
Contrairement à ce que nous répètent à l'envi les gens favorables au projet, la réflexion inquiète qu'il inspire chez les autres n'a rien à voir avec ce fameux jacobinisme dont nous les Français seraient incapables de se débarrasser, plus de deux siècles après la Révolution. Cette réflexion s'appuie sur la conviction que la grande majorité du peuple corse ne souhaite pas l'indépendance et que la France n'a aucune raison d'accorder à une poignée d'élus ou de négociateurs ce que ne réclament pas la plupart des Corses.
Elle s'appuie aussi sur des principes qui animent les plus ardentes idées de M. Jospin : par exemple, que ce qui est bon pour la communauté nationale, c'est que tous ceux qui ont la nationalité française ne se sentent pas distincts des autres par leur religion, la région où ils vivent, l'ethnie à laquelle ils appartiennent. Il n'y a peut-être rien de plus beau que ce qui nous unit, à commencer par la langue, qui n'est pas seulement un moyen de communication, mais le principal vecteur de la civilisation à laquelle nous appartenons tous, quelles que soient par ailleurs nos différences d'origine.
La France, pays d'immigration, compte de plus en plus de nationaux dont les parents ou les grands parents ne sont pas nés en France ou qui eux-mêmes n'y sont pas nés. Intégration, voilà la démarche qui préserve nos appartenances tout en donnant un dominateur commun à tout le monde. Et nous ne pourrions pas intégrer les Corses, alors même qu'ils sont plus nombreux à vivre en métropole que dans leur île d'origine ?
Le régime que nous avons choisi
Toutes ces raisons font que M. Jospin ne peut pas adresser de mise en garde à ceux qui critiquent son projet. Il ne peut pas, dans une affaire qui soulève autant de questions primordiales, attribuer la contestation à des arrière-pensées politiciennes. Il ne s'agit même pas d'un problème constitutionnel. Si les termes de la loi fondamentale empêchent l'évolution indispensable de la Corse, nos élus ont le pouvoir de les changer. Il s'agit en réalité du régime que nous avons choisi. Beaucoup de ceux qui soutiennent le projet ont accablé de sarcasmes la formule de « République une et indivisible ». Mais cette formule est le rempart contre un mouvement centrifuge toujours possible et qui transformerait la France en une série de principautés. Les Corses ne sont différents des Bretons ou des Aquitains que parce qu'ils vivent en Corse et parce qu'ils parlent avec un autre accent (pas tous d'ailleurs). Mais Corses, Bretons et Aquitains meurent dans les mêmes guerres et partagent les mêmes joies nationales. Si nous commençons à accepter que les uns ou les autres aient un destin différent, nous n'aurons pas la moindre chance d'intégrer dans la communauté nationale les millions d'immigrés qui nous reprochent, très précisément, de les considérer comme différents de nous.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature