« C' ETAIT un soir d'hiver comme bien d'autres. » Jérôme Chiotti, champion du monde de VTT 1996, déchu après ses aveux de dopage, ressent une drôle de douleur, « là, du côté du cur ». Il s'affole, un peu. Selon lui, les cachets qu'il prend depuis plusieurs jours, dans le cadre d'un dopage programmé, sont responsables de son malaise. Le médecin de garde diagnostiquera une douleur intercostale et parviendra à faire peur au sportif et à son épouse : « Madame, êtes-vous consciente que votre mari met en péril une grande partie de sa vie, en absorbant de telles substances ? (...) Ce sont des médicaments que l'on donne aux patients atteints de la maladie de Parkinson. (...) Vous voulez devenir veuve à quarante ans ? »
En avril 2000, Jérôme Chiotti lâche tout : le dopage programmé, sous contrôle, le dopage artisanal, la complaisance des médecins, les filières d'approvisionnement, etc. « Oui, j'ai été champion du monde en Australie grâce à l'EPO (érythropoïétine) », lit-on alors dans les journaux et, aujourd'hui, dans un livre, « De mon plein gré »*, dans lequel Jérôme Chiotti retrace sa vie, depuis ses débuts à vélo, dans un quartier haut de Millau, jusqu'à ses aveux. Le sportif raconte ainsi son parcours dans le monde professionnel, effectué en partie sur route, notamment dans les équipes Le Groupement et Festina.
Une dizaine de médicaments
Alors qu'il n'est qu'amateur, son premier « initiateur », Philippe Gilleron, lui recommande la lecture d'un bouquin du Dr François Bellocq, « la Grande Hypocrisie », et l'incite à aller le voir le jour où il en aura besoin. Jérôme Chiotti oublie, puis y revient au moment même où ses entraînements deviennent plus intenses. François Bellocq, mort depuis, est adepte du rééquilibrage hormonal. Après une année de réflexion, le sportif saute le pas : le Dr Bellocq lui prescrit plus d'une dizaine de médicaments, dont des substances indiquées dans les troubles fonctionnels digestifs, des produits traitant le déficit cognitif et neurosensoriel du sujet âgé, des vasodilatateurs périphériques. Soit une trentaine de pilules à avaler dans une journée. « C'était de la pure folie, même si ces substances n'avaient aucun effet dopant, note Jérôme Chiotti. D'un autre côté, je n'avais aucune raison de mettre sa parole en doute. Après tout, il était médecin (...). »
Le dopage dans le milieu sportif peut se décrire en terme de palier. Le « premier palier » est atteint par Jérôme Chiotti en 1993, lors d'un mini-stage sur trois jours de cyclo-cross à Lalonde-les-Maures. « Manu » l'initie à « un nouveau mode de récupération », une injection par piqûre d'un décontractant musculaire. « Ce n'était qu'un décontractant, qu'une intramusculaire. C'était surtout un baptême. Merci Manu », écrit le sportif.
La chimie comme sésame
Sa première injection de corticoïdes remonte au lendemain de la présentation de l'équipe Catavana-Corbeil, en janvier 1994. « J'arrivai à un nouveau palier », constate Jérôme Chiotti. Le début d'une longue série, le trimbalant de suivi en suivi de protocoles à base de corticoïdes. « Aujourd'hui, un magma noirâtre tapisse (sa) fesse. »
Aviez-vous peur, Jérôme Chiotti, de bafouer l'éthique ? « Non. » Aviez-vous peur pour votre santé ? « Non. »« Pour être tout à fait sincère, j'étais aux anges, (...) épaté de tenir un rang (...). Dans mon esprit juvénile, je passais du monde amateur au monde pro. L'apport chimique devenait mon sésame. » Testostérone, puis EPO et hormones de croissance, Jérôme Chiotti atteindra les derniers paliers. Cette fois, « pour l'appât du gain ».
Si le système D ne suffit plus pour trouver de l'EPO ou des hormones de croissance, il fonctionne en revanche pour tout le reste. En Loire-Atlantique (la zone de manuvre du sportif), un coureur amateur fait office de ravitailleur en chef. « Il s'approvisionnait auprès d'une pharmacie du département qui fermait totalement les yeux sur ses commandes sans ordonnance. » Un jour, Jérôme Chiotti s'y rend seul, sans justificatif médical. Il repart avec un arsenal de corticoïdes, « pour la saison ».
« Certains diront que j'en fais trop, conclut Jérôme Chiotti (...) Oui, je suis peut-être fou. Fou au point d'inviter tous les gens concernés à déposer plainte dans les commissariats de France pour non-assistance à personnes en danger. Pour abus de négligence. »
* « De mon plein gré », éd. Calmann-Lévy, 89 F.
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