Céphalées de tension
A BICHAT, COMME dans la majorité des centres antidouleur, les patients qui consultent pour la première fois sont invités à remplir un questionnaire standardisé comprenant un test visant à apprécier leur état psychologique (échelle HAD). En analysant les résultats obtenus chez les patients souffrant de céphalées de tension, l'équipe parisienne a été frappée par la faible fréquence des troubles anxieux et dépressifs, qui apparaissait inférieure à celle estimée dans la population générale, ce qui était contraire à l'impression clinique. D'autre part, plusieurs études ont montré une association entre céphalées de tension et pathologie anxiodépressive. Une étude a donc été réalisée par Mme Guillemont*, psychologue du service, et le Dr Caravias* proposant à un groupe de patients de répondre en présence de la psychologue à des échelles plus performantes le Beck Depression Inventory et le State Trait Anxiety Inventory of Spielberger**. Les résultats de ces tests se sont révélés bien différents des données issues des autoquestionnaires : chez les patients étudiés, les troubles dépressifs ou anxieux sont en effet apparus plus fréquents que dans la population générale, contrairement à ce qu'avait montré l'analyse des autoquestionnaires. Deux enseignements peuvent être tirés de cette étude de terrain :
- Il n'existe pas de corrélation entre autoquestionnaire et tests psychologiques standardisés chez les patients souffrant de céphalées de tension, ce qui semble bien indiquer une tendance de ces patients à occulter ou à nier toute difficulté psychologique.
- En présence d'une céphalée de tension, un score normal à un autoquestionnaire préalable ne doit pas dispenser de rechercher un état anxio-dépressif sous-jacent.
Pour le Dr Binoche, environ la moitié des personnes présentant des céphalées suffisamment sévères et rebelles pour recourir à une consultation spécialisée dans un centre antidouleur souffrent d'une dépression méconnue ou niée. Il faut néanmoins noter que ces cas sévères, souvent adressés pour « migraine résistant au traitement », ne sont pas, loin s'en faut, représentatifs des très nombreux sujets souffrant de céphalées de tension (affection qui touche, selon les estimations, près de 20 % de la population).
A cet égard il n'est sans doute pas inutile de rappeler quelques symptômes utiles au diagnostic différentiel, d'autant que ces patients présentent souvent des crises migraineuses surajoutées.
La céphalée de tension peut être quotidienne sur une longue période, alors que la crise migraineuse dure généralement entre 24 et 48 heures, en règle jamais plus de 3 jours. La céphalée de tension est volontiers bilatérale et la migraine unilatérale. La céphalée de tension est, au moins initialement, non pulsatile, le caractère pulsatile étant un des critères diagnostiques de la migraine. Elle ne provoque ni nausées ni vomissements. Alors que la crise migraineuse est toujours très aggravée par l'effort, la céphalée de tension est plutôt soulagée par l'activité. Autre critère utile au diagnostic différentiel dans les cas difficiles : chez les patients souffrant de céphalées de tension, une pression sur l'insertion occipitale des trapèzes provoque une douleur irradiant dans le territoire spontanément douloureux. La manœuvre de rotation-flexion antérieure de la tête entraîne la même douleur du côté interne de la flexion.
Les patients atteints de céphalées de tension présentent souvent un sommeil vécu comme léger et peu réparateur, à la fois facteur probablement déterminant de la céphalée et témoin de leur difficulté à se détendre. Ils sont volontiers dans un état d'activité (voire d'hyperactivité) permanente, par crainte, plus ou moins consciente, de déprimer s'ils se laissent aller à la détente. Ce sont d'ailleurs souvent des sujets qui ont une profession stressante et peu d'activité physique.
La prise en charge en découle : psychothérapie, kinésithérapie (relayée par la gymnastique et le sport) sont les principales mesures thérapeutiques. La psychothérapie fait largement appel aux thérapies comportementales et comprend très souvent l'apprentissage de techniques de relaxation. La kinésithérapie associe des massages des insertions des trapèzes, la décontraction des muscles sous-occipitaux, la mobilisation et l'élongation de la colonne cervicale.
Sur le plan pharmacologique, les antimigraineux sont inefficaces, sauf, bien entendu, en cas de migraine surajoutée. Les céphalées installées peuvent être soulagées par les anti-inflammatoires non stéroïdiens, mais leur utilisation fréquente posant à long terme des problèmes de tolérance, il ne peut s'agir d'une solution pérenne. Les antidépresseurs non sédatifs (IRS le plus souvent) aideront au contrôle d'une dépression sous-jacente si elle est dépistée. L'usage des benzodiazépines, y compris à titre de myorelaxant, n'est pas conseillé en raison d'un effet plutôt délétère sur la qualité du sommeil.
A la différence de la migraine, les céphalées de tension peuvent disparaître. Avec une prise en charge physique et psychologique adaptée, et au prix d'un rééquilibrage du mode de vie, les patients peuvent obtenir une authentique guérison.
* Centre antidouleur, hôpital Bichat, Paris.
**Development of psychological variables in cephalic patients during treatment
C. Guillemont, JL Caravias, T Binoche, JM Desmonts
3rd World Congress of World Institute of Pain abstracts p.169.
Progrès thérapeutiques
Alors que la migraine représentait un motif fréquent de consultation dans un centre antidouleur, les migraineux semblent avoir déserté ces services depuis quelques années. Certes, quelques cas rebelles, notamment les états de mal migraineux avec surcharge thérapeutique, sont encore adressés par leur médecin, mais la plupart des migraineux sont aujourd'hui très bien pris en charge par leur généraliste grâce aux progrès apportés par les triptans dans le traitement de la crise, et à une meilleure utilisation des traitements de fond. Même si les migraineux continuent à souffrir de céphalées intenses, leur durée est limitée à quelques heures et la maladie est devenue beaucoup moins invalidante. Il n'y a plus aucune raison pour qu'un patient soit contraint de s'enfermer 48 heures dans le noir en raison d'une crise migraineuse, comme on le voyait encore il y a quelques années.
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