Le mystère de la chambre calorimétrique
C'EST UN fait acquis, la fréquence de l'obésité augmente régulièrement. Estimée actuellement entre 10 et 12 %, en France, elle pourrait même rejoindre à plus ou moins long terme celle des Etats-Unis, qui s'élève déjà à 25%. Ce phénomène est inquiétant à plus d'un titre. D'une part, parce qu'il reflète une profonde modification de notre relation avec l'alimentation ; l'atteste également l'augmentation impressionnante des troubles du comportement alimentaire en général (boulimie, anorexie, crises compulsives, alimentation « diététiquement trop correcte »...). A aucune autre période de l'histoire, l'être humain n'a vraisemblablement été confronté à une telle pléthore alimentaire, bousculant les codes sociaux et familiaux pour transformer un acte identitaire, celui de manger, en une confrontation solitaire à l'abondance, d'autant que la diminution majeure de l'activité physique, rançon de l'industrialisation et de la robotisation, est également sans précédent.
D'autre part, parce que les spécialistes de la nutrition se trouvent démunis pour faire face à une telle révolution des comportements. Une réponse purement diététique apparaît à l'évidence bien insuffisante et il n'a jamais été montré de corrélation entre le poids et l'activité sportive, rendant cette dernière piste « thérapeutique » incertaine. Plus encore, aucune réponse claire n'a pu être apportée au fait qu'avec des apports alimentaires identiques, certains sujets sont maigres alors que d'autres grossissent.
Une structure unique en France.
Mieux comprendre le pourquoi de cette injustice physiologique pourrait-il permettre d'éclaircir les mystères de la prise de poids ? C'est la question que s'est posée une équipe du Cesg* de Dijon, dirigée par le Pr Daniel Rigaud et le Dr Laurent Brondel (1). Il faut dire que cette unité dispose depuis peu d'un outil d'évaluation étonnant, unique en France, patiemment mis au point, et susceptible d'apporter des réponses pertinentes. Il s'agit en l'occurrence de deux chambres à coucher d'un style particulier, puisqu'elles permettent de mesurer avec une extrême précision, non seulement la dépense énergétique d'un individu mais également son activité physique quotidienne (voir encadré). L'hypothèse du Cesg est en effet que certains sujets ont une activité physique involontaire, inconsciente, dite de posture, qui pourrait expliquer une dépense énergétique supérieure à celle qui est habituellement déclarée dans les autoquestionnaires.
Pour l'instant, deux protocoles ont été mis en place, sur un total de 60 volontaires. Chaque sujet (mince ou en surpoids mais non obèse) réside à deux reprises dans la chambre, une fois avec un régime alimentaire usuel et l'autre fois avec un régime hypocalorique. Les données obtenues pourront ainsi permettre de mieux connaître une situation également mal comprise : l'adaptation à la restriction énergétique. Car, là encore, certaines « injustices » semblent exister. Certains individus freinent sans doute plus vite que d'autres leurs dépenses énergétiques, et donc leur perte de poids sous régime hypocalorique. Les applications possibles de ces outils de mesure d'un genre très nouveau apparaissent donc très nombreuses et devraient apporter un éclairage original sur les relations entre poids et obésité. De nombreux programmes de recherche sont de fait lancés : étude de la lipolyse, de l'influence du stress, études longitudinales...
D'après un entretien avec le Pr Daniel Rigaud, Cesg
* Centre européen des sciences du goût
(1) L'équipe inclut Laurent Brondel, spécialiste de la physiologie de la nutrition, Virginie Van Wymelbeke, nutritionniste, Vincent Gigot, ingénieur, Daniel Rigaud, professeur de nutrition.
Capteurs à gogo
Le Cesg dispose actuellement de deux chambres calorimétriques respectivement de 9m3 et de 18m3, dans lesquelles des sujets volontaires sont amenés à séjourner pendant plusieurs heures, voire 24 heures, selon les protocoles. Chaque espace dispose de capteurs piezzo-électriques ultrasensibles situés dans le plancher, à même de mesurer et de quantifier l'intensité, la direction et le vecteur d'un mouvement même infime, comme celui de se passer la main dans les cheveux ou de remuer en dormant. Parallèlement, une analyse de l'air de la chambre qui est en permanence homogénéisé est effectuée régulièrement de façon à calculer la dépense énergétique à partir des concentrations d'O2 et de CO2. Plus encore, l'établissement de quotients respiratoires (VCO2/VO2) permet de savoir ce qui est oxydé par l'individu : glucides, lipides et même protides, grâce à un dosage concomitant de l'azote urinaire.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature