Verdi, discographie des opéras de jeunesse

Des années de galère

Publié le 04/03/2001
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CLASSIQUE

PAR Olivier Brunel

A PRES le succès milanais de « Nabucco », son troisième opéra en 1842, Verdi dut produire opéra après opéra pour répondre à la demande des théâtres italiens qui se l'arrachaient. Ce sont ses « années de galère » pendant lesquelles il enchaîne succès après succès. Tandis que ces œuvres de jeunesse sont reprises sur toutes les scènes italiennes, Londres puis Paris le réclament et ce sont quatorze opéras, forcément inégaux, qui naissent sous sa plume rapide jusqu'à la création de « Rigoletto » en 1851 à Venise.

« Nabucco » est le plus abordable des opéras de Verdi et peut-être le plus célèbre par son fameux Va pensiero, chœur des esclaves hébreux, allégorie très claire au peuple italien opprimé par l'envahisseur autrichien. Dans la version orchestralement somptueuse de Riccardo Muti en 1978 avec Scotto, Obraztsova, Manuguerra, il réussit à passionner et s'imposer (1). Verdi est célèbre pour la complexité des livrets de ses opéras. Pour son quatrième opéra, « Les Lombards à la Première Croisade », sujet politico-religieux à grand spectacle, son librettiste avait fait fort : d'Antioche à Jérusalem on nage dans l'invraisemblable ! Cependant la musique, menée avec une grande vigueur par James Levine avec des interprètes du niveau de June Anderson, Luciano Pavarotti et Samuel Ramey, encore une fois sauve la face (2).
Cinquième des vingt-neuf opéras de Verdi, « Ernani » d'après Victor Hugo est une sombre histoire de révolte contre le Roi d'Espagne et d'amour contrarié qui se termine très mal. Rareté sur scène, peu enregistré, il l'a été en 1967 à Rome avec le RCA Italiana Orchestra par le regretté jeune chef américain Thomas Schippers qui a mis le plus grand soin à rendre la sobriété du drame hugolien. Les interprètes ne sont rien moins que Leontyne Price et Carlo Bergonzi (3).
Opéra héroïque avec déjà des faux airs de Macbeth, « Giovanna d'Arco » narre avec beaucoup de fantaisie les aventures de Jeanne d'Arc et de Charles VII contre les Anglais. James Levine en a réalisé avec éclat un enregistrement de studio en 1972 avec la fine fleur du chant verdien de l'époque : Montserrat Caballe qui donne à notre Jeanne nationale des accents d'une belle douceur et Pl[135]cido Domingo, l'héroïsme fait voix. Tous deux s'y réservent quelques duos d'amour mémorables (4).
Très en situation dans la chronologie des événements révolutionnaires qui ont mené à l'unité italienne, « Attila » reprend une intrigue romaine : la lutte contre les Huns. Cet enregistrement de Riccardo Muti en 1989 avec La Scala de Milan est un des meilleurs des opéras de jeunesse de Verdi. La distribution est parfaitement équilibrée avec Cheryl Studer, Neil Schicoff, Giorgio Zancanaro et Samuel Ramey (5).
Deux choix pour « Macbeth », le premier opéra d'après Shakespeare. Celui à la distribution très équilibrée qu'Erich Leinsdorf dirige avec beaucoup de passion. C'était la création de l'œuvre à l'Opéra de New York en 1959, à laquelle Maria Callas, en désaccord avec la direction, ne participa pas. Ce fut la grande chance d'une jeune autrichienne, Leonie Rysanek, de la remplacer avec une autorité souveraine dans Lady Macbeth et à ses côtés un baryton au timbre noble et aux phrasés royaux, Leonard Warren et, luxe absolu, Carlo Bergonzi en Macduff (6). « Macbeth » fut, avec Abbado et Strehler en 1976, le spectacle d'ouverture de La Scala de Milan. L'enregistrement réalisé à chaud en studio, restitue l'ambiance de ce grand spectacle. Toute l'Ecosse est là avec ses sorcières, ses spectres, ses apparitions. Shirley Verrett est la plus grande Lady Macbeth après Callas et Piero Cappuccilli, Nicolai Ghiaurov, Pl[135]cido Domingo, complètent une distribution incomparable (7).
La sortie de « Jerusalem », grand oublié des catalogues, en fait la version française des « Lombards » réalisée en 1847 pour l'Opéra de Paris, tombe à pic pour l'Année Verdi. Fabio Luisi à la tête de l'Orchestre de la Suisse Romande donne une atmosphère très théâtrale à cette sombre histoire de seigneuries rivales et de croisades. Un très beau chœur de pèlerins n'est pas loin d'égaler celui plus célèbre de « Nabucco ». Les interprètes sont tous parfaits (8).
Mélodrame romantique familial d'après Schiller, « Luisa Miller » reste une rareté des scènes lyriques. Pourtant avec son bel canto tardif et son action feutrée, il préfigure souvent « La Traviata ». Peter Maag dirige avec un grand soin un orchestre aux belles couleurs romantiques et des interprètes éblouissants, spécialistes de ce répertoire : Montserrat Caballe, Luciano Pavarotti et Sherrill Milnes (9). « Stiffelio », grand mélodrame bourgeois et adultérin, n'a guère la faveur des théâtres. C'est pourtant une œuvre bien construite malgré un livret bancal, avec des personnages attachants. Le jeune José Carreras d'une splendeur et vigueur vocale étonnantes y rayonne avec Sylvia Sass et Matteo Manuguerra. Lamberto Gardelli à la tête des forces de la Radio autrichienne insuffle une vie au drame (10).

(1) EMI. 2 CD.
(2) Decca/Universal. 2 CD.
(3) RCA/BMG. 2 CD.
(4) EMI. 2 CD.
(5) EMI. 2 CD.
(6) RCA/BMG. 2 CD.
(7) Deutsche Grammophon/Universal. 2 CD.
(8) Philips/Universal. 3 CD.
(9) Decca. 2 CD.
(10) Philips/Universal. 2 CD.

Un disque

Airs d'opéras de jeunesse

Ce récital est une des rares nouveautés enregistrées spécialement pour l'Année Verdi. Le baryton américain Thomas Hampson, Marquis de Posa du « Don Carlos » en français au Châtelet, accompagné par le jeune et britannique Orchestre du Siècle des Lumières, chante avec un style superbe et un timbre de baryton dramatique et chaud, idéal pour Verdi, des airs principalement extraits d'opéras de jeunesse. Raretés absolues, deux airs en français, celui de Montfort dans la version originale des « Vêpres siciliennes » ainsi que celui du Comte de Luna du « Trouvère ». Sommets de l'ensemble, les deux airs de Macbeth et de Germont père dans « La Traviata ».

EMI. 1 CD.

BRUNEL Olivier

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6869