E N présentant, devant l'Académie de médecine, une étude sur le don d'ovocytes - « Le don d'ovocytes depuis la loi de bioéthique, implications médicales, éthiques et juridiques déduites d'une série de 300 cas à l'hôpital Tenon »* -, le Pr Jacques Salat-Baroux a le sentiment d'aborder « l'exemple type des problèmes posés par la médecine moderne ».
La promulgation, en 1994, des lois de bioéthique autorisant le don d'ovocytes a créé, selon lui, des « difficultés éthiques ». « Deux conséquences » du cadre législatif imposé au don d'ovocytes « sont ainsi devenues évidentes » : la pénurie de plus en plus grande de donneuses et la nécessité de ne transférer que des embryons congelés/décongelés. Le Pr Salat-Baroux en vient donc à s'interroger sur l'opportunité de revoir les principes qui président au don d'ovocytes.
C'est chez le lapin qu'un premier transfert d'embryon d'une donneuse à une receveuse est effectué avec succès, en 1891, par W. Heage. En 1983, une équipe australienne de la Monach University obtient une première grossesse chez la femme, après un don d'ovocyte. Depuis, cette technique s'est développée et répond aux recommandations du rapport de l'Académie nationale de médecine sur l'assistance médicale à la procréation de 1996. L'utilisation d'ovocytes de donneuses a permis d'obtenir, à l'hôpital Tenon, à Paris, un taux de grossesses cliniques par transfert de 30 % et d'implantations par embryons de 19 %.
Aux Etats-Unis, pour la seule année 1994, on dénombre 929 enfants vivants nés par don d'ovocytes. Pour sa part, le GEDO (Groupe d'étude pour le don d'ovocytes en France) fait état de 154 transferts pour 1 360 demandes avec 127 enfants nés chez 99 couples. Par ailleurs, le nombre de centres pratiquant le don d'ovocytes a progressé de 9 à 17. La demande s'est accrue : le nombre de receveuses est passé de 191 à 503 entre 1994 et 1997.
Alors qu'il y avait eu jusque-là des dons anonymes et non anonymes, la loi bioéthique de 1994 préserve l'anonymat des donneuses. L'effet du nouveau cadre législatif se manifeste rapidement : le nombre des donneuses diminue, à partir de 1994. Selon les résultats de l'étude, ce nombre passe de 58 en 1994 à 9 en 1998. Le Pr Salat-Baroux souligne toutefois que, dans ces cas, l'anonymat n'est pas seul en cause : 9 % des donneuses potentielles sont récusées en raison de leur âge, d'une contre-indication médicale ou génétique ou parce qu'elles ne vivent pas en couple.
De plus, 17 % d'entre elles ne poursuivent pas leur démarche, surtout pour des raisons psychologiques. Dans le même temps, le nombre de receveuses ne fait que croître, passant de 21 à 104 entre 1988 et 1996 dans le centre de Tenon. Le délai d'attente est en moyenne de 18 mois à deux ans et plus, avec pour corollaire une augmentation de l'âge des receveuses. « Ce qui n'est pas sans conséquence sur les résultats », ajoute le Pr Salat-Baroux.
Fragilisé par l'obligation d'anonymat, le recours au don d'ovocytes n'offre pas les résultats que l'on serait en droit d'en attendre.
En 1996, un décret sur la sécurité sanitaire impose la mise en quarantaine par congélation des embryons, issus de dons de gamètes, pour un délai de six mois après recueil, afin de contrôler les sérologies VIH, hépatites B et C, CMV des donneuses d'ovocytes. On applique alors un principe de précaution, en pleine affaire du sang contaminé. Néanmoins, les conséquences de la parution du texte réglementaire sont « multiples » : perte d'embryons à la décongélation (jusqu'à 21 % à Tenon) et diminution du taux de succès par rapport aux transferts d'embryons frais qui impose de donner au moins 5 ovocytes à chaque receveuse pour optimiser le résultat du don.
Sur un plan éthique, l'anonymat et le secret par rapport à l'enfant « posent problème », selon l'auteur. Et de rappeler que de nombreux psychologues et psychanalystes estiment que « le secret véhicule avec lui un caractère pathogène vis-à-vis de l'enfant ».
Seulement 45 % des couples receveurs seraient décidés à révéler les circonstances de l'AMP à leur enfant. A toutes ces difficultés, s'ajoutent « les risques d'une hyperstimulation ovarienne encourus par la donneuse dans la mesure où l'on essaie, chez une femme jeune, d'obtenir un nombre important d'ovocytes en vue de leur fécondation ».
Le Pr Salat-Baroux pose alors le problème des embryons surnuméraires. Son analyse le conduit à déplorer l'encadrement législatif, « très strict en tout cas en France », qui rend le recours au don d'ovocytes pour les couples infertiles « très difficile, pour ne pas dire de plus en plus impossible, alors que sa réalisation, sur le plan pratique, reste une technique aisée et reproductible ». « Serait-il possible, s'interroge t-il, d'être conduit, par souci d'efficacité, à changer les principes " intangibles " que sont la gratuité et l'anonymat qui s'appliquent à tous les dons, sachant qu'il existe une restriction pour l'anonymat des dons d'organes dans des conditions exceptionnelles : dans une même famille et pour une raison vitale ? La question se pose alors de savoir si un autre choix est possible... pour les couples, pour... la société; »
Les interrogations du Pr Salat-Baroux font écho à celles exprimées, il y a quelques jours, par huit équipes de fécondations in vitro agréées (« le Quotidien » du 1er février). Dénonçant des « résultats français inacceptables » dans le cadre des dons d'ovocytes, elles suspendent leur activité jusqu'à la fin du mois de mars, afin d'obtenir des pouvoirs publics un assouplissement du cadre législatif du don d'ovocytes.
(1) Etude rétrospective, menée entre 1994 et 1999, à l'hôpital Tenon à Paris, intéressant 177 transferts d'embryons congelés puis décongelés chez 139 patientes parmi les 300 demandeuses d'un don d'ovocytes, pendant cette même époque.
La réponse à une ménopause précoce
La ménopause précoce est la première indication du recours au don d'ovocytes (35 % des indications). Elle devance les dysgénésies gonadiques (25,4 %) et les réponses ovariennes insuffisantes (22 %). Le recours à cette technique d'assistance médicale à la procréation intervient, dans 6,7 % des cas, à la suite de castrations chirurgicales ou radiothérapiques et, dans 5,6 % des cas, pour cause d'anomalies génétiques congénitales. Les troubles de la fécondation d'origine ovocytaire représentent 2,83 % des indications.
Les résultats sont les suivants : un taux de grossesses cliniques par transfert de 26,5 % avec une différence significative entre les femmes de moins de 35 ans (30,2 %) et de plus de 35 ans (13,2 %) ; un taux de grossesses multiples de 9,5 % pour les femmes de moins de 35 ans ; un taux d'avortements comparable dans les deux populations, soit 20 %.
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