Un entretien avec la ministre de l'Emploi et de la Solidarité

Elisabeth Guigou : le sommet santé ne doit pas se focaliser sur la maîtrise des dépenses

Publié le 24/01/2001
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LE QUOTIDIEN - Pourquoi avez-vous décidé de réunir toutes les professions de santé le 25 janvier et avec quel objectif ?
ELISABETH GUIGOU - J'ai déjà reçu une première fois la plupart des syndicats représentant les professionnels libéraux de santé, et je recevrai les autres très prochainement. Ils m'ont fait part de leurs problèmes. Il est évident qu'il y a un malaise qui tient principalement au fait que l'on a besoin de redéfinir la place de ces professionnels dans le système de soins. Nous devons voir si nous pouvons, et comment nous pouvons, ensemble, rénover le système conventionnel.
Je souhaite dans le cadre de cette concertation que nous traitions d'abord des problèmes de fond concernant l'organisation du système de santé. Nous savons que nous avons le meilleur système de santé - c'est l'OMS qui le dit - mais nous savons aussi que ce système a des faiblesses que nous pouvons corriger. Il y a des questions de fond, bien identifiées par les professionnels, comme la démographie médicale, l'articulation entre médecine de ville et hospitalière, la prise en charge des urgences et les réseaux de soins.
Mais nous aurons également à réfléchir sur une question fondamentale qui est celle de l'équilibre même de notre système. Nous avons un système mixte qui concilie une organisation libérale de la médecine de ville avec un financement public. Je pense qu'il faut essayer de le pérenniser car cela marche bien et il a beaucoup d'avantages. Cependant, nous devrons définir comment, au sein de ce système, chacun peut assurer ses responsabilités. Je ne veux pas réduire la discussion au problème de l'assurance-maladie, mais il faudra aussi s'interroger sur la hausse des dépenses de santé.

Vous avez récemment annoncé que la concertation allait se poursuivre sur plusieurs mois. Au point que certains syndicats de médecins redoutent que vous ne cherchiez à gagner du temps. Avez-vous fixé une limite dans le temps à cette concertation ?
J'attends d'eux et de leurs organisations représentatives des propositions concrètes aux questions concrètes qui se posent. J'attends d'eux des réponses concrètes. Elles seront débattues et si nous pouvons nous mettre rapidement d'accord sur les sujets que je viens d'évoquer, je serais très heureuse que nous puissions avancer rapidement.

La question de la maîtrise des dépenses sera malgré tout au cœur de ces débats. Les médecins protestent contre le système de lettres clés flottantes mis en place par Martine Aubry et qu'ils considèrent comme une maîtrise comptable. Ils demandent un moratoire. Quelle est votre position sur cette question ?
Il faut se méfier des mots. Le terme de maîtrise, qu'elle soit qualifiée de « comptable » ou de « médicalisée », est désormais très connoté. Je préfère parler, moi, de responsabilité conjointe. Nous avons un système mixte qui doit faire travailler ensemble des acteurs publics et privés. Essayons de voir comment mieux définir les responsabilités de chacun dès lors qu'il y a une volonté commune de faire fonctionner le système. Maintenant, tout système conventionnel appelle une forme de régulation. Quelle forme de régulation pouvons-nous bâtir ensemble ? Sur quoi pouvons-nous nous engager ensemble ? Ce sera l'objet de nos discussions.

Pas d'a priori

Vous abordez-donc ce problème de la maîtrise sans a priori.
Non, je n'ai aucun a priori. Mais nous avons à nous livrer à une analyse objective de ce qui existe aujourd'hui. Et je le répète, il faut de toute façon un système de régulation. Pourquoi ? Parce qu'à partir du moment où il s'agit d'un financement public, en tant que ministre de l'Emploi et de la Solidarité, j'ai à rendre compte de la meilleure utilisation de ces ressources. On peut avoir une discussion sur le niveau légitime des dépenses de santé dans un pays développé comme le nôtre, parler de la nécessité de faire face aux besoins de la population, aux progrès technologiques mais la vraie question pour moi est que chaque franc dépensé le soit à bon escient. Car nous aurons forcément des choix à faire. Il ne faut donc pas se focaliser tout de suite sur la question des outils de cette maîtrise. Il faudra bien y venir ; mais parlons d'abord des objectifs que nous nous fixons en termes de dépenses. Et il faut de ce point de vue avoir un dialogue constructif. On ne peut parler de rationnement des soins quand on injecte près de 100 milliards de francs supplémentaires en trois ans dans le système de soins.

Etat-Sécu : clarifier les rôles

Il est un problème qui s'est constamment posé au cours de ces dernières années, c'est celui des responsabilités respectives entre l'Etat et l'assurance-maladie. Etes-vous satisfaite par la répartition des tâches décidée par Martine Aubry ou souhaitez-vous aller plus loin dans ce domaine ?
Je pense qu'on aurait intérêt à continuer à clarifier davantage les rôles respectifs de chacun. Cela dit, j'attends beaucoup, et je vais les solliciter, des propositions de la Caisse nationale d'assurance-maladie et des acteurs de santé pour voir comment cela pourrait mieux marcher. Finalement, la CNAM n'agit aujourd'hui que sur les honoraires. Nous avons trois acteurs, la CNAM, l'Etat et les professionnels. Il faut essayer de trouver un système de régulation qui repose sur ces trois acteurs à la fois pour que le patient reçoive les meilleurs soins.

Que pensez-vous de l'initiative prise par les partenaires sociaux, dans le cadre de la « refondation sociale », d'aborder ce sujet de l'assurance-maladie ?
Je pense que c'est très salutaire que les grandes confédérations de salariés s'interrogent sur ces sujets et je trouve très bien qu'ils figurent parmi les chantiers de discussion que les partenaires sociaux ont décidé d'ouvrir. J'aborde déjà ces sujets avec eux. Il faudra à un moment donné, dans le travail que nous voulons mettre en place, les associer même si elles ne sont pas conviées en tant que telles à le réunion du 25. Nous tiendrons compte en tout cas de leurs propositions.

Les dépenses d'assurance-maladie, notamment celles de médecine de ville, ont augmenté, l'an dernier, beaucoup plus rapidement que prévu. Cela ne vous inquiète-t-il pas ?
Cette augmentation est effectivement importante. Il faut s'interroger sur les origines du décalage au cours de l'année 2000 entre les objectifs d'évolution des dépenses fixés par le Parlement et les augmentations constatées et sur les éléments de cette augmentation dans laquelle les dépenses de médicaments et celles des matériels et dispositifs médicaux inscrits au TIPS jouent un rôle très important.

Médicament : envisager des mesures complémentaires

Pour le médicament, est-ce que vous envisagez de prendre des mesures comparables à celles qui ont déjà été prises précédemment : baisses de prix, diminution des taux de remboursement ?
Je pense qu'il faut faire un bilan de l'effet des mesures qui ont été prises par Martine Aubry - et qui sont de bonnes mesures, notamment le générique et l'examen du service médical rendu --et puis envisager des dispositions complémentaires. Il n'y a pas de raison de consommer autant de médicaments : on n'est pas forcément mieux soigné pour autant.Ce n'est pas l'objet de la réunion du 25 parce que j'ai souhaité, je l'ai déjà indiqué, que cette réunion ne se focalise pas uniquement sur la question de l'assurance-maladie, donc de la régulation des dépenses. Nous engagerons, bien entendu, un travail plus spécifique sur les médicaments qui fera partie du suivi, des prolongements de cette journée du 25.


Des organisations de médecins hospitaliers vous reprochent de ne pas les avoir invitées à la réunion du 25.
Il fallait définir le format de cette réunion en fonction des objectifs prioritaires que je lui assignais. Pour ce qui est des médecins hospitaliers, j'ai déjà reçu leurs syndicats ensemble, je les verrai individuellement début février. Il est évident que, dans le prolongement de ce qui va être fait le 25, nous allons traiter le problème de l'articulation entre médecine de ville et médecine hospitalière. C'est un problème fondamental à travers deux sujets très concrets : l'organisation des urgences et les prescriptions hospitalières.

Démographie : l'incitation plutôt que la contrainte

Vous souhaitez évoquer le 25 les problèmes de la démographie médicale. Est-ce que vous partagez les inquiétudes des experts qui redoutent une pénurie de médecins. Et quelles mesures envisagez-vous de prendre ?
C'est un sujet majeur qui a été abordé par tous les professionnels de santé. Il est absolument indispensable que nous mettions en place des outils prévisionnels pour éviter d'avoir à faire face à ce type de problèmes dans l'avenir. Martine Aubry a relancé par exemple les recrutements dans les écoles d'infirmières, mais il y a un délai de trois ans entre l'entrée en formation et l'entrée en fonction.
Il y a deux problèmes : le nombre global de professionnels de santé, notamment des infirmières, et leur répartition sur le territoire. Je crois que, mis à part la question des infirmières pour lesquelles la pénurie va être difficile à gérer dans les trois années qui viennent, le problème est plutôt celui de la répartition dans les différentes filières et de la répartition sur le territoire. C'est plutôt sur ce problème qu'il faut réfléchir en priorité plutôt que sur le nombre global. La question qui se pose, c'est de savoir comment orienter davantage de médecins dans les filières moins recherchées - où les conditions de travail sont difficiles - et comment éviter qu'il y ait des déserts médicaux et des oasis médicaux. Je crois plus, dans ce domaine, à un travail de fond, à des mesures incitatives, plutôt qu'à la contrainte, qui est incompatible avec le mode d'organisation de notre système de soins.

Est-ce que vous comptez aussi aborder,dans la foulée du 25, la question de la formation initiale des médecins et surtout de la formation médicale continue qui est dans l'impasse ?
On les abordera. La question de la formation des médecins et surtout celle de la formation continue sont importantes. A l'heure actuelle, les médecins font l'objet d'une intense activité publicitaire de la part des laboratoires. Nous avons d'ailleurs décidé de mettre en place dans le cadre du PLFSS un groupe d'information des prescripteurs chargé d'élaborer et de diffuser une information objective et simple sur les prescriptions, leur coût et leur insertion dans les stratégies thérapeutiques.

Propos recueillis par le Dr Gérard KOUCHNER, Céline ROUDEN et Bruno KELLER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6842