Livres
M AIS qu'en est-il donc réellement du libertinage du XVIIIè siècle, que notre époque considère encore avec engouement et nostalgie, même si la fin de siècle se révèle plus pragmatique et moins libertaire ? On le découvre dans « le Savoir-vivre libertin » (1) de Michel Delon - professeur à la Sorbonne, éditeur des uvres de Sade dans la Pléiade - pour qui les hésitations morales du XVIIIè siècle sont souvent les nôtres aujourd'hui : « Ce qui se nommait vérole est devenu SIDA, l'ostentation aristocratique est devenue goût de la consommation, mais le refus reste le même de s'en laisser imposer par une instance moralisatrice, de se laisser réduire au modèle commun ».
Michel Delon insiste sur les flottements de la définition du libertinage, qui se situe entre interdits et permissions selon la place occupée par chaque jouisseur dans la hiérarchie aussi bien qu'au croisement des faits de société et de rêveries érotiques, du commerce des corps et de l'invention littéraire. S'installant entre interdit et transgression, entre réalité et imaginaire, le libertin résiste à une loi dominante et il peut être, selon le lieu et le moment de son action, érudit ou séducteur, philosophe ou mondain. Ainsi donc le libertinage peut-il être appréhendé comme un ensemble d'idées subversives ou un réseau de connivences, comme une thématique littéraire ou un style de vie.
« Il est difficile, on le voit, de fixer le sens du mot - le libertin lui-même est clandestin », confirme Patrick Wald Lasowki dans la préface au tome 1 de la Pléiade consacré aux « Romancier libertins du XVIIIè siècle » (2).
Ce premier volume de l'anthologie rassemble douze textes de la première moitié du siècle qui furent des succès à leur époque. Ils ont également en commun de tout dire, à force d'allusions quand ils sont signés Crébillon ou Voisenon, en toute obscénité sous la plume de Gervaise de Latouche ou Boyer d'Argens.
Romans d'éducation, contes, dialogues, les genres sont divers et agrémentés de récits enchâssés, de fantaisies orientales et autres stratégies narratives à destination de lecteurs, et de lectrices, qui pourraient être tentés de confondre fiction et réalité.
Si cette anthologie - qui est naturellement agrémentée de gravures « libres »- permet de retrouver des textes célèbres, elle est aussi l'occasion de redécouvrir dans leur version originale d'autres textes oubliés depuis le XVIIIè siècle, ou transmis dans des éditions corrompues.
D'hier à aujourd'hui, signalons deux autres textes de facture très différente mais néanmoins érotiques. Ecrits à la manière des romans libertins d'antan, « les Souvenirs galants du marquis de V... » (3) sont signés Georges Kornheiser ; au soir de sa vie, ledit marquis relate dans ces Mémoires toute une existence de licence et de sensualité depuis son apprentissage de l'amour par les soins d'une accorte servante jusqu'à son mariage avec une femme pargageant son goût du plaisir partagé.
Changement de décor avec « Parties fines » (4), un texte aussi court que percutant de Jean-Yves Cendrey - l'époux de l'écrivain Marie N'Diaye - qui est l'épopée jubilatoire de deux fantoches en quête effrénée de sexe... avec un hommage sous-jacent et détourné à Flaubert, entre bovarysme au masculin et éducation davantage érotique que « sentimentale ».
Médecin spécialisé dans l'écoute des couples et de leurs problèmes, et auteur déjà de plusieurs ouvrages traitant de la sexualité, Gérard Leleu s'est penché sur « L'intimité et le couple » (5) dans le but d'aider les partenaires à se trouver ou se retrouver.
Saturation de « sexe », spectre des maladies sexuellement transmissibles, dureté du système économique, raréfaction des relations interpersonnelles, sont pour lui autant de raisons qui poussent à nouveau l'homme et la femme à l'intimité.
Il en détaille les différentes composantes, cette manière d'être dans la « bulle » de l'autre : au contact de sa peau, dans la contemplation de ses attraits amoureux, en accord avec ses sentiments, ses émotions, ses pensées... Puis il fait l'inventaire des obstacles à cette intimité : sensualité réduite, manque de sensibilité, peur, fantasmes, besoin de domination..., et évoque l'usure du désir, celui-ci étant un facteur essentiel dans la durée du couple.
Ouvrage de réflexion mais aussi guide pratique, le livre est illustré de nombreux exemples qui sont l'occasion pour le docteur Leleu de proposer des traitements et des suggestions pour trouver ou consacrer l'intimité.
Une nouvelle liberté d'aimer, c'est aussi ce que promet Emmanuel-Juste Duits - par ailleurs professeur de philosophie - dans son essai « L'autre désir. Du sadomasochisme à l'amour courtois » (6).
Constatant que, le désir étant par nature insatiable, la société ne nous laisse comme choix que le renoncement ou une consommation insatisfaite, il évoque une troisième voie, à priori surprenante. « A notre sens, écrit-il, le sadomasochisme comme l'amour courtois représentent des tentatives pour mettre à distance l'objet du désir et, paradoxalement, assouvir celui-ci de façon plus profonde que par une "consommation" directe ».
Chez les uns et les autres, une même aspiration secrète : atteindre la transcendance à travers la chair - « transcendance » dans le sens d'une modification plus ou moins durable de la conscience par l'exacerbation et la frustration du désir. L'étude comparée de ces deux voies, l'une née dans les cours occitanes au XIIè siècle et l'autre fort en vogue aujourd'hui, impliquant chacune ses rituels et son « érotique de la distance », constitue l'une des clés inédites de cet essai. Et conduit l'auteur à s'interroger sur de nouvelles éthiques amoureuses, au-delà du modèle familiale et du libertinage nihiliste.
De sadomasochisme et même extrême, il est question entre autres dans le dernier livre du journaliste Christophe Bourseiller - qui a déjà consacré plusieurs ouvrages aux extrémismes politiques et religieux -, « les Forcenés du désir » (7).
Néofétichistes, membres de cultes érotiques, cyborgs, adeptes du cybersexe, néoféministes, body-artistes, sexe-performeurs, échangistes, mélangistes ou polyamoureux..., sont aussi au programme, que l'on découvre comme autant de tribus distinctes, avec ses codes, ses adresses, ses sites Internet. Tous ceux en fait que l'on considère comme les héritiers des libertins et du marquis de Sade et qui après des années de reflux, dues au Sida et à la remise en question des valeurs de 68, reviennent en force. Il paraît que Paris est aujourd'hui la capitale mondiale de l'échangisme...
(1) Editions Hachette, 348 p., 139 F
(2) Editions Gallimard, 1 345 p., 390 F
(3) Editions Mercure de France, 213 p., 115 F
(4) Editions Mille et une nuits, 63 p., 10 F
(5) Editions Flammarion, 275 p., 99 F
(6) Editions La Musardine, 137 p., 69 F
(7) Editions Denoël, 285 p., 130 F
Un Art Nouveau très érotique
Pour Ghislaine Wood - commissaire-associé de l'exposition « Art Nouveau 1890-1914» qui s'est ouverte au Victoria & Albert Museum à Londres - le tournant du siècle dernier, peut-être plus que toute autre période de l'histoire de l'art, est considéré comme une période de licence sexuelle et de folie décadente ; tout juste met-elle en concurrence quant à l'hédonisme des temps, les dernières années de l'Empire romain et la fin de l'Ancien Régime. D'où l'intitulé de son livre, « Art Nouveau & érotisme ».
A la fin du siècle dernier, les créateurs jouent d'une palette de symbolismes, dont l'érotisme, pour exprimer la modernité ; ils tentent d'explorer les implications psychologiques de la sexualité. On trouve l'érotisme à la fois dans l'utilisation explicite des formes et de l'imagerie érotiques et dans l'emploi symbolique du mythe et de la religion.
Et si le style a fait long feu, s'effondrant définitivement dans les années précédant la Première Guerre mondiale, c'est notamment, explique l'auteur, en raison du contenu érotique de bien des uvres Art Nouveau.
Une démonstration menée de main de maître dans un album au petit format séduisant et bien illustré, puisqu'il comporte 80 reproductions dont 60 en couleurs.
Editions Herscher, 96 p., 98 F
Une anthologie littéraire des jouisseurs
Le sexe est, avec l'alcool et le tabac, la drogue de prédilection de l'homme du XXIè siècle balbutiant, comme il le fut certainement de tous temps. Comme un moyen, justement, d'arrêter la course inexorable du temps vers la mort, ou de ne plus en souffrir. Mais si dans l'extase sexuelle, l'homme connaît l'éternité de l'instant, s'il abolit le temps et accède à une sorte d'immortalité, plus dure est la chute ! Car le plaisir sexuel, expression la plus achevée de la puissance de vie, n'est jamais loin de la mort, de la destruction.
La plupart des écrivains en ont parlé, clandestinement ou ouvertement, avec chacun son style, ses fantasmes, sa manière de négocier la transgression, que ce soit par le biais d'un érotisme raffiné ou en plongeant dans la pire pornographie.
Réalisée sous la direction de Gilles Verlan, « Les vertus du vice » est une «anthologie littéraire des jouisseurs », qui regroupe des textes de ces chantres de ces plaisirs défendus : le sexe, le tabac et l'alcool. De Pétrone, Théophile de Viau ou Mirabeau à Alina Reyes, Françoise Rey ou Virginie Despentes, la promenade est plaisante et parfois surprenante.
Editions Albin Michel, 260 p., 98 F
Livres
Et nourrir de plaisir
Ce n'est peut-être pas son nom « épicé », qui a conduit Serge Safran à s'intéresser à la relation étroite et subtile qui a toujours existé entre la gastronomie et l'érotisme ; mais le résultat est là, un livre érudit et goûteux, qui sous le titre « L'Amour gourmand », célèbre le libertinage gastronomique au XVIIIè siècle.
Car l'on s'aperçoit à travers l'évolution du conte et du roman, que le chocolat, le champagne, le café, les huîtres, la volaille, les vins et liqueurs, sont étroitement et presque toujours liés aux amours libertines. Les plaisirs de bouche font avec le sexe une entrée en force dans la littérature et la représentation, même fantasmatique, de la vie quotidienne.
Que vous soyez « salé » ou « sucré », vous trouverez au fil des chapitres illustrés d'anecdotes savoureuses tirées de la « petite histoire », de quoi nourrir tous vos appétits !
Editions La Musardine, 287 p., 79 F
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