Etats-Unis : un hit-parade des bons et des mauvais médecins

Publié le 16/01/2001
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De notre correspondant

S I les médecins français ont des raisons de se révolter contre le système de gestion des soins, ceux des Etats-Unis n'ont pas non plus de raisons de se réjouir : une société du Nebraska, National Research Corporation, lance un nouveau service sur Internet, une évaluation de 437 médecins de famille, pédiatres et gynécologues-obstétriciens de la ville de Portland, dans l'Oregon. Et, bien entendu, il s'agit d'une expérience pilote qui pourrait être étendue à d'autres régions américaines.

L'évaluation en question n'est pas exactement scientifique : elle n'est pas réalisée par d'autres médecins, mais par les patients eux-mêmes, que National Research a interrogés. La société, qui offre gratuitement ce service aux patients, y trouve tout de même son compte, puisque son travail est financé par trois compagnies d'assurance-maladie : ODS Health Plan, Providence Health Plans et Regence Blue Cross Blue Shield of Oregon. Ces trois compagnies ont accès à des données qui ne sont pas livrées au public et dont elles peuvent faire l'usage qu'on imagine.
Quatre aspects des soins sont évalués : la communication, l'accessibilité du médecin, la qualité des soins qu'il prodigue et sa faculté à prévenir les maladies. National Research reconnaît (heureusement) qu'il ne s'agit pas de dire qu'un praticien guérit mieux ou plus souvent qu'un autre. Elle affirme néanmoins qu'elle est en mesure de publier la première échelle d'évaluation du corps médical en Oregon, qu'elle apporte à l'assurance-maladie des éléments d'information qui lui font défaut et que les praticiens jugés positivement par leurs patients sont ceux qui obtiennent la meilleure compliance aux prescriptions et auront le moins de procès pour faute médicale, ou pas de procès du tout.
Inutile de dire que cette « évaluation » va permettre aux compagnies d'assurance-maladie d'établir leur propre sélection et de refuser de rembourser les soins prodigués par les médecins qui se retrouvent au bas de l'échelle. Pour ceux-là, le risque de devoir fermer leur cabinet n'est pas à exclure.
Le projet est né de la conjonction entre le souhait des trois compagnies d'assurance de procéder à une évaluation des médecins de Portland et de l'idée de National Research de faire le travail pour leur compte. National Research a dépensé 200 000 dollars (1 400 000 F) pour l'enquête et tirera sa compensation de la vente des données aux compagnies d'assurance-maladie. Elle s'est engagée à renouveler son enquête une fois par an pendant les quatre années à venir.

Inquiétude et agacement des médecins

Les médecins de Portland que « le Quotidien » a contactés par téléphone sont soit agacés soit inquiets. Ceux qui sont sûrs de la fidélité de leurs patients, comme le Dr Sadie Harrington, une généraliste de Hillsboro, banlieue de Portland, estiment qu' « on jette par le fenêtre de l'argent qui aurait pu être consacré aux soins. Il y a vingt ans que j'exerce, j'ai déjà trop de patients et je n'en accepte plus de nouveaux. Je me moque complètement d'être ou de ne pas être évaluée, surtout si l'évaluation n'est pas réalisée par mes pairs ». Mais le Dr Rex Hungar, de Portland, est terrifié à l'idée que des patients puissent juger sa manière d'exercer, alors que, par définition, le patient ne sait ni établir un diagnostic ni prescrire une thérapie. « Je pense, dit-il, à tous ces patients auxquels j'ai refusé des médicaments qui ne les auraient pas guéris. Ils ont dû dire aux enquêteurs que je ne les écoute pas. »
Les moins choqués sont les consommateurs. Directrice de l'Oregon Coalition of Health Care Purchasers, D'anne Gilmore déclare au « Quotidien » : « Avec les primes d'assurance-maladie qui ne cessent d'augmenter, tous les patients se demandent ce qu'ils ont pour leur argent. Il est juste, à mon sens, que n'exercent que les médecins qui satisfont leurs patients. »

Laurent SILBERT

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6836