Vitamines et système cardio-vasculaire

Existe-t-il des preuves du bénéfice de la supplémentation ?

Publié le 21/06/2012
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PAR LE Pr PIERRE AMBROSI*

• Vitamine B1 (précurseur de la thiamine). La carence en vitamine B1 est responsable de diverses manifestations neurologiques, dont l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke et, plus rarement, du béribéri cardiaque. Il faut y penser devant une insuffisance cardiaque, habituellement à prédominance droite, chez des patients sévèrement dénutris et/ou alcooliques. Le diagnostic est fait de deux manières : par le dosage de la vitamine B1 plasmatique et par l’évolution favorable spectaculaire de l’insuffisance cardiaque dans les 48 heures suivant les apports en thiamine par voie parentérale relayée par la voie orale. A noter que la carence en vitamine B1 joue un rôle marginal dans les cardiomyopathies éthyliques vues en routine.

• Vitamine B6 (pyridoxine). La carence en vitamine B6 n’est pas une cause de maladie cardio-vasculaire, mais la B6 est utilisée pour traiter l’homocystinurie, maladie génétique très rare comportant un déficit intellectuel, une luxation du cristallin, un aspect marfanoïde et des manifestations vasculaires à type d’accidents thromboemboliques veineux, d’AVC, d’accidents artériels périphériques ou d’infarctus du myocarde. Ces accidents sont dus à des thromboses sur une paroi vasculaire altérée avec parfois des lésions d’artériosclérose, c’est-à-dire de fibrose intimale. La cause en est la très forte accumulation d’homocystéine dans le sang résultant de mutations d’enzymes du cycle de synthèse de la cystéine dont les cofacteurs sont les vitamines B6, B9 et B12.

• Vitamine B9 (folates). Si l’homocystinurie est associée à des événements artériels et veineux précoces, il est tentant de penser qu’une hyperhomocystéinémie modérée (de 15 à 50 µmol/l) est un facteur de risque cardio-vasculaire. L’hyperhomocystéinémie modérée est assez banale et due à l’insuffisance rénale, à des mutations enzymatiques à l’état hétérozygote ou à des carences en folates. Elle est effectivement associée dans des études de cohorte, mais pas dans toutes, à un risque cardio-vasculaire élevé. Or on sait diminuer les hyperhomocystéinémies modérées de manière simple, peu coûteuse et anodine (sauf chez le cancéreux) en administrant de la vitamine B9 per os (Spéciafoldine 5 mg/j, par exemple). De nombreux essais randomisés ont été réalisés pour évaluer l’efficacité de ce traitement associé ou non à la vitamine B6 ou à la vitamine B12 et ont montré qu’elles ne préviennent pas les événements veineux ou artériels. Ce résultat décevant n’est pas surprenant car on sait depuis longtemps que la carence en folates est responsable d’anémie macrocytaire, de troubles digestifs, mais pas de manifestations cardio-vasculaires.

Il reste probablement une place du traitement par vitamine B9 dans les rares cas de thromboses veineuses idiopathiques du sujet jeune accompagnés d’une franche hyperhomocystéinémie.

• Vitamine  D. L’intérêt d’une supplémentation en vitamine D pour le système cardio-vasculaire est sporadiquement évoqué par des études épidémiologiques trouvant une association entre carence en vitamine D et morbi-mortalité cardio-vasculaire. Il n’existe cependant aucun essai randomisé apportant un début de preuve. On est même en droit de se demander si la supplémentation en vitamine D n’accroît pas le risque de rétrécissement aortique calcifié. En effet, chez le lapin un régime associant de forts apports en cholestérol et de la vitamine D peut provoquer une sténose aortique. Chez l’homme, une étude cas-témoins a montré que la calcémie est en moyenne plus élevée chez les patients ayant un rétrécissement aortique calcifié que chez les témoins. Enfin, chez les patients dialysés, une vitaminémie D élevée est associée à un risque supérieur de développer une sténose aortique. Il faudrait donc engager un essai randomisé pour répondre à cette question.

• Vitamine E (tocophérol). Les espèces réactives de l’oxygène comme l’ion superoxyde jouent probablement un rôle dans l’athérogenèse. Elles pourraient être le lien entre divers facteurs de risque comme le tabac ou les LDL oxydées et la lésion artérielle. La vitamine E est un antioxydant qui, de ce fait, pourrait s’opposer à ce processus. Longtemps la vitamine E (Toco 500, par exemple) a été prescrite pour la prévention cardio-vasculaire, souvent en traitement d’appoint des dyslipidémies. Finalement, la métaanalyse de multiples essais randomisés incluant au total près de 230 000 sujets a montré une tendance à l’augmentation de la mortalité sous vitamine E. De même, une métaanalyse portant sur 38 357 patients a montré un effet neutre de la vitamine E vis-à-vis des événements coronaires (figure). Les essais évaluant d’autres antioxydants comme la vitamine C et le bêtacarotène ont abouti aux mêmes conclusions décevantes. L’explication la plus probable est que notre alimentation apporte suffisamment d’antioxydants, en ajouter sous forme médicamenteuse ne confère pas de bénéfice supplémentaire.

* Service de cardiologie, hôpital de la Timone, Marseille

Figure. Rapport des cotes du risque combiné d’IDM non fatal et de décès d’origine cardio-vasculaire du traitement par vitamine E comparativement au groupe témoin. Métaanalyse de cinq essais randomisés (d’après Vivekananthan DP et coll. Lancet 2003).


Source : Bilan spécialistes