11° Journées européennes de la Société Française de Cardiologie à Paris

Faut-il prescrire un traitement hormonal substitutif chez les coronariennes ?

Publié le 15/02/2001
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L A tendance depuis une vingtaine d'années était d'inciter les femmes ménopausées à prendre une substitution hormonale pour s'opposer aux effets de la carence sur différents organes. Cela sur la foi de différents arguments expérimentaux et épidémiologiques.

D'une part, le risque cardio-vasculaire est bas chez la femme en préménopause et s'élève progressivement en période postménopausique. D'autre part, le risque relatif de mortalité cardio-vasculaire avant 70 ans est multiplié par huit à dix si la ménopause a eu lieu avant 40 ans. Enfin, de nombreuses études de cohorte ont observé une diminution de la prévalence des maladies cardio-vasculaires chez les femmes postménopausées recevant un traitement estrogénique. La difficulté pour ces études est liée au biais de recrutement : les femmes qui prennent un traitement hormonal substitutif font plus d'exercice physique, ont souvent des visites médicales, une meilleure observance thérapeutique et appartiennent à des couches sociales plus favorisées que les femmes ne prenant pas de traitement. En revanche, le seul essai de prévention, randomisé en double aveugle, dont les résultats sont disponibles (étude HERS), n'a pas montré d'effet bénéfique du traitement. Il s'agissait de femmes ménopausées avec une coronaropathie. Cet essai a montré une légère élévation des événements lors de la première année, mais pas de différence de morbidité cardio-vasculaire à long terme ; et un risque de thrombose un peu augmenté. Cependant, l'étude HERS, américaine, utilisait des molécules peu prescrites en France : des estrogènes conjugués et de l'acétate de médroxyprogestérone.

Discuter l'intérêt du traitement

« Il n'y a pas à mon sens de contre-indication absolue, a estimé le Pr François Berthezenne (Lyon) ; mais le THS ne peut être prescrit que dans la mesure où les effets bénéfiques attendus sont importants et ne peuvent être apportés par une autre thérapeutique. » Il s'agit donc de savoir avec quel objectif le traitement substitutif est proposé et s'il existe une solution alternative.
Le premier cas est représenté par les femmes souffrant de troubles du climatère gênants ; éventualité fréquente en début de ménopause, mais beaucoup plus rare après plusieurs années de carence. Or la pathologie coronarienne concerne généralement des femmes dont la ménopause est déjà installée de longue date et qui se plaignent peu de bouffées de chaleur. En cas de bouffées de chaleur, dans la mesure où les autres traitements se sont révélés inefficaces, où la coronaropathie est stable et où la qualité de vie de la patiente est sérieusement altérée, il est possible de prescrire un THS. Si les troubles prédominent dans la sphère génitale (sécheresse vaginale), des traitements estrogéniques locaux peuvent être utilisés sans danger.
Concernant le risque d'ostéoporose, la situation a évolué avec l'arrivée de traitements non hormonaux capables de diminuer le risque fracturaire. Selon le Pr Berthezenne, il n'y a donc pas lieu d'utiliser un traitement hormonal dans cette indication chez la coronarienne.

Le THS prévient-il l'athérosclérose ?

Reste la question de l'efficacité potentielle de l'hormonothérapie pour prévenir l'athérosclérose. Les résultats de l'étude américaine ne peuvent être transposés à la situation française puisqu'elle est fondée sur des composés hormonaux (estrogènes conjugués et acétate de médroxyprogestérone) peu utilisés dans notre pays ; un examen particulier de situation française s'impose d'autant plus que des travaux expérimentaux chez l'animal montrent un bénéfice de composés différents.
Le Pr Francis Bayard (Toulouse) a rapporté les résultats d'un travail effectué chez la souris. Dans ce modèle, l'estradiol (E2) prévient le développement des stries lipidiques qui apparaissent spontanément en cas d'hypercholestérolémie. Il semble que la cible d'action de l'E2 soit la paroi vasculaire. L'activité vasorelaxante endothéliale (EDRF ou NO) est contrôlée par l'E2 grâce à ses propriétés antioxydantes. Cependant, l'utilisation d'un inhibiteur de la production de NO montre que cet agent n'est pas nécessaire à l'action de l'E2 sur les stries lipidiques. En effet, il semble que la cible principale de l'E2 soit le système immuno-inflammatoire et particulièrement les populations NKT et/ou gamma-delta des lymphocytes T. On a clairement mis en évidence le rôle de l'E2 sur la production de cytokines pro-inflammatoires. Ce rôle apparemment paradoxal a pourtant pour résultat une diminution de l'infiltration de la paroi vasculaire par les cellules du système immuno-inflammatoire. Cela pourrait expliquer un effet biphasique du traitement observé dans certaines études épidémiologiques.
Actuellement, deux grands essais de prévention cardio-vasculaire chez la femme ménopausée sont en cours, l'un utilisant les mêmes traitements que l'étude HERS, l'autre du raloxifène (étude RUTH). Les résultats ne seront pas disponibles avant quatre ans. Quels que soient les résultats, ils ne permettront pas de savoir si les traitements le plus prescrits en Europe (estrodiol par voie orale ou cutanée, progestatifs non androgéniques) sont utiles en termes de prévention cardio-vasculaire. Il serait également souhaitable de développer des critères intermédiaires d'efficacité des stéroïdes sexuels, le problème étant que ceux-ci sont nombreux : diverses lipoprotéines, PAI-I, les molécules d'adhésion, des paramètres de la fonction endothéliale, des facteurs immunologiques et inflammatoires...
« En attendant que le bénéfice du THS sur la prévention de l'athérosclérose soit plus clairement prouvé, il paraît logique d'utiliser d'autres classes thérapeutiques (type statine) pour abaisser le risque cardio-vasculaire chez la femme ménopausée coronarienne », a estimé le Pr Berthezenne.

Dr Denise CARO

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6858