LE QUOTIDIEN - Les médecins ont parfois eu tendance à miser sur les échéances électorales pour faire avancer leurs revendications. La France entre dans une longue période électorale. Est-ce que, à vos yeux, cela constitue un contexte favorable ?
Dr MICHEL CHASSANG - Tout le monde est déjà en campagne pour les élections déterminantes de l'an prochain. La tentation est forte, de la part des politiques, de ne rien faire jusqu'aux prochaines élections, d'endormir tout le monde, d'essayer de ne pas faire trop de vagues et de faire en sorte que l'opposition à la politique de santé actuelle se fasse le moins entendre possible. Nous savons qu'il n'est dans l'intérêt ni du système d'assurance-maladie, ni des médecins, ni des patients, surtout, de tomber dans ce travers et de ne raisonner qu'en fonction d'échéances électorales. Nous ne comptons pas tenir compte de cette échéance dans notre action syndicale. Que les choses soient claires : nous ne laisserons pas passer l'année qui vient sans réagir si rien n'est fait du côté du gouvernement.
Dans quel domaine, par exemple ?
Dans celui des honoraires, notamment. J'observe que le tarif de la consultation est resté à 115 francs depuis avril 1998 et que le tarif de la visite est à 135 francs depuis avril 1994 (à l'exception de Paris, Marseille et Lyon où il est de 145 francs) . Et cela alors que les charges des cabinets ne cessent d'augmenter. Je dis très clairement que, s'il n'y a pas d'augmentation, l'UNOF arrêtera des consignes tarifaires.
C'est-à-dire que vous demanderez aux généralistes du secteur I de dépasser unilatéralement les tarifs conventionnels ?
Nous ne savons pas encore quelles seront les modalités de ces consignes, car nous sommes en train d'étudier, notamment sur le plan juridique, les différentes hypothèses envisageables. Mais nous prendrons des initiatives tarifaires, c'est clair. Et nous n'attendrons pas les élections législatives ou présidentielle de l'an prochain, car la situation est insupportable.
Une concertation tous azimuts
Comment réagissez-vous à l'initiative prise par la CFDT, le syndicat MG-France et d'autres syndicats de constituer des ateliers pour réfléchir à l'évolution des soins ambulatoires ? Percevez-vous cela comme un contre-feu au travaux du groupe dit du G7 (1) auxquels la CSMF participe ?
La situation en matière de politique de santé est aujourd'hui particulièrement riche. On assiste, en fait, à une concertation tous azimuts. La CSMF a pris, il y a environ un an, l'initiative de lancer cette opération de concertation avec les syndicats de salariés que la presse a appelé G7. Nous travaillons, dans ce cadre-là, pour bâtir un autre système de santé, une autre convention,pour qu'il y ait une solution de rechange au système actuel qui est un échec. Nous sommes très majoritaires dans le cadre du G7, puisque, du côté des médecins, les syndicats qui participent aux travaux représentent 70 % des médecins généralistes et plus de 90 % des médecins spécialistes ; mais aussi du côté des organisations de salariés, puisque à la CGT et à FO, qui participent à ces travaux depuis le début, sont venus s'ajouter la CFTC et la CFE-CGC. Que constatons-nous aujourd'hui ? Nous avons fait école dans plusieurs directions : le gouvernement a mis sur pied son « Grenelle de la santé » et son comité des sages, et les minoritaires (MG-France, la CFDT, d'autres syndicats de paramédicaux, la Mutualité, NDLR) qui se sentent aujourd'hui menacés se sont regroupés pour s'agiter. Nous ne pouvons que dire que nous sommes satisfaits d'avoir fait école dans notre démarche et d'avoir fait comprendre à tout le monde, dans la classe politique et syndicale, que le système a échoué et qu'il faut construire autre chose.
Etait-il exclu pour vous de participer également à ce nouveau groupe de travail lancé par la CFDT et MG-France ?
Nous ne voyons pas très bien quelle aurait été l'utilité de participer à un groupe de travail avec des organisations qui continuent à défendre le système actuel.
CNAM : une « petite révolution »
Il y a pourtant des évolutions qui se dessinent : les présidents des trois caisses nationales d'assurance-maladie se sont prononcés, dans un document commun, pour un système de régulation des dépenses maladie reposant sur la responsabilité individuelle des médecins. Cela devrait vous satisfaire.
Les propositions des trois caisses représentent un changement de fond qui laisse entrevoir un avenir meilleur. Le document de la CNAMTS est intéressant sur deux points. Sur le plan de la maîtrise des dépenses, il passe du quantitatif et du collectif au qualitatif et à l'individuel. Il suggère des sanctions individuelles en cas de non-respect de critères médicaux et non des sanctions collectives en cas de non-respect d'objectifs comptables. C'est là une petite révolution qui ne doit pas nous laisser de marbre. L'assurance-maladie revient au principe de la maîtrise médicalisée. Cela demeure encore flou, mais la démarche est intéressante. Il y a, par ailleurs, dans les propositions de la CNAMTS des éléments positifs en ce qui concerne le partage de l'information, notamment lorsqu'elle déclare qu'il faut que le décret concernant la transmission aux unions régionales des médecins libéraux des données (provenant de la télétransmission des feuilles de soins) paraisse le plus vite possible. Cela dit, nous attendons plus que des paroles, nous attendons des actes, et les actes, on ne les voit pas vraiment venir. En effet, il ne s'est rien passé : chacun travaille de son côté, le gouvernement met en place un « comité des sages » auquel personne ne croit ; on établit un calendrier qui fait que, de toute façon, on ne pourra pas tenir compte, lors de l'élaboration du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002, des résultats de cette concertation.
Elisabeth Guigou a cependant prévu un nouveau « Grenelle de la santé » en juin, c'est-à-dire à temps pour que ses conclusions puissent figurer dans le prochain PLFSS.
La ministre convoque l'ensemble des partenaires pour une réunion d'étape en juin prochain. Je sais ce que veut dire réunion d'étape, et je sais ce que veut dire nouvelle grand'messe. Je demande à être surpris, agréablement surpris, et les médecins sont comme moi. Mais nous avons l'impression aujourd'hui que l'on essaie de nous anesthésier, de gagner du temps. Nous avons l'impression qu'on nous mène en bateau.
G7 : « Une volonté d'aboutir »
Mais vous n'êtes pas favorable à un boycott des travaux du comité des sages ?
La CSMF et l'UNOF ont décidé d'aller partout où nous sommes invités pour que nous puissions défendre nos idées. Nous continuerons à y aller, à participer aux travaux, mais nous y allons avec un optimisme très mesuré, compte tenu de cette tentative d'anesthésie du gouvernement dont je vous ai parlé. En outre, nous espérons avoir mis au point avec nos partenaires du G7 des propositions communes vers la fin du mois d'avril ; ce qui permettra à la ministre, si elle le souhaite, d'inclure ces éléments dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002.
Est-ce que les participants au G7 vont pouvoir parvenir à un accord ? Il y a quand même des divergences entre eux.
Une négociation n'est jamais gagnée d'avance. Mais il y a une réelle volonté d'aboutir de part et d'autre, de construire quelque chose de nouveau. Nous sommes tous au pied du mur, et on a le devoir de réussir. Nous, à la CSMF, nous mettrons tout en uvre pour que cette négociation réussisse. Les difficultés qui peuvent survenir sur des sujets délicats, comme l'avenir du secteur à honoraires libres ou le système de régulation des dépenses, peuvent être surmontées. Je pense que nous y réussirons. La CSMF est aussi douée pour la construction d'un nouveau système que pour la lutte.
Comment réagissez-vous à l'attitude des internes qui critiquent la suppression du concours de l'internat ou plutôt certaines des modalités du système qui est appelé à remplacer l'actuel concours de l'internat ?
Nous ne pouvons plus supporter la situation actuelle de sélection du médecin généraliste par l'échec (au concours de l'internat). C'est la raison pour laquelle nous accordons la plus haute importance au projet de réforme déjà voté en première lecture à l'Assemblée et qui prévoit de mettre un terme au système actuel. Cette réforme a été longuement discutée par tous les intéressés et a été, à de multiples reprises, différée. Nous ne saurions accepter qu'au dernier moment elle soit une nouvelle fois remise en cause. Peut-être que le projet actuel n'est pas une panacée. Il nécessitera des adaptations. Cela ne doit pas remettre en cause le fond de la réforme, qui est de faire des généralistes des spécialistes à part entière. Nous ne pouvons prendre du retard. Il faut que le concours de l'internat nouvelle formule soit organisé dès 2004, comme cela est prévu, et que les nouveaux spécialistes en médecine généraliste sortent dès 2007. Nous le disons clairement au gouvernement : les généralistes qui sont unis sur ce dossier ne transigeront pas.
(1) Ce groupe est ainsi dénommé parce qu'il rassemble sept organisations : la CGT, FO, la CFTC et la CFE-CGC, du côté des syndicats de salariés, et la CSMF, le SML et la FMF, du côté des syndicats de médecins libéraux.
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