INTENSITÉ, durée, étendue géographique : les caractéristiques exceptionnelles de la vague de chaleur qui s'est abattue sur la France au cours de la première quinzaine d'août 2003 ont occasionné environ 15 000 décès supplémentaires par rapport à la mortalité habituellement constatée. Dès le mois de septembre suivant, Denis Hémon (directeur de l'unité Inserm recherches épidémiologiques et statistiques sur l'environnement et la santé) et Eric Jougla (directeur du CépiDc, centre d'épidémiologie sur les causes de décès) le confirmaient dans le premier volet de leur rapport (« le Quotidien » du 29 septembre 2003) : ils mesuraient une envolée de 54 % de la surmortalité, qui frappait surtout les femmes (60 %), les personnes âgées de plus de 75 ans (70 %), les habitants des régions Ile-de-France (130 %) et Centre (100 %).
Deux hypothèses réfutées.
Restaient cependant deux hypothèses encore en suspens : d'une part, conjecturait-on, ces 15 000 décès aoûtiens auraient préludé à une surmortalité qui, dans les semaines et les mois suivants, aurait continué de frapper les personnes âgées ; d'autre part, les personnes frappées par la catastrophe étaient de santé très fragile et, sans la canicule, elles seraient mortes de toute manière dans les jours suivants. Deux hypothèses que le deuxième volet du rapport de l'Inserm vient réfuter l'une comme l'autre.
« Notre recherche a mis en évidence la parfaite corrélation de la période de la canicule avec la montée et la descente du nombre des morts, explique au "Quotidien" Eric Jougla ; la mortalité observée en France métropolitaine est en effet revenue à son niveau habituel dès le 19 août et dans les décades et les mois qui ont suivi. Ce retour à la normale est vérifié du 21 août au 31 décembre pour les différentes classes d'âge, chez les hommes comme chez les femmes, dans toutes les catégories de lieu de décès (domiciles, établissements hospitaliers, hospices, maisons de retraite), ainsi que dans toutes les régions. »
En décembre 2003, un pic de surmortalité d'environ 8 % a bien été observé chez les sujets de 75 ans et plus, mais aucune association ne peut être faite avec la canicule.
Deux conclusions s'imposent par conséquent : l'absence de surmortalité persistante, qui aurait pu révéler qu'une fraction de la population aurait été gravement et durablement fragilisée par la vague de chaleur ; et l'absence d'une sous-mortalité transitoire, qui aurait signifié, à l'inverse, qu'une fraction au moins de la surmortalité observée pendant la vague de chaleur aurait résulté de l'anticipation de quelques jours, semaines ou mois, des décès qui se seraient produits en l'absence d'épisode caniculaire. Autrement dit, pour employer un terme de la littérature épidémiologique, aucun « effet moisson » n'est à signaler.
Au chapitre des causes médicales des 41 458 décès enregistrés entre les 1er et 20 août, le rapport détaille celles qui sont directement liées à la chaleur (coup de chaleur, hyperthermie, déshydratation), dont l'augmentation a été plus que massive, multipliée par vingt ou plus, selon l'âge et le sexe, et les autres causes pour lesquelles la surmortalité a été extrêmement
marquée : maladies du système nerveux (+ 100 %), troubles mentaux (+ 80 %), maladies de l'appareil respiratoire, incluant les pneumonies (+ 90 %), maladies infectieuses (+ 90 %), maladies de l'appareil génito-urinaire (+ 90 %), maladies endocriniennes (+ 70 %). La quasi-totalité des autres causes médicales a progressé, mais dans des proportions moins nettes.
Un phénomène très spécifique de la canicule 2003 est enfin souligné, qui n'a pas été retrouvé dans les épisodes de canicule précédents, comme celui de 1976 : la fréquence des cas où le médecin certificateur a déclaré en tant que cause initiale du décès une cause directement liée à la survenue de la chaleur (déshydratation, hyperthermie, coup de chaleur). Le certificateur a ainsi voulu souligner que, même si la personne était âgée et porteuse de pathologies chroniques lourdes au moment du décès, c'est bien la chaleur qui a été directement à l'origine de son décès. Et elle ne serait pas décédée à cette date sans cet effet de la canicule. Le suspect numéro 1 du tragique polar de l'été 2003 était donc bien le coupable.
Bientôt le certificat de décès électronique
La catastrophe de la canicule 2003 aura au moins eu un mérite : faire prendre cruellement conscience aux autorités de santé publique, et en particulier à celles qui sont en charge de l'alerte sanitaire, des limites du CépiDc, le centre épidémiologique sur les causes de décès, et de sa lenteur à transmettre les informations sur les décès, leurs nombres et leurs causes. C'est le ministre alors en charge de la Santé, Jean-François Mattei, qui a décidé de créer un groupe de travail pour améliorer la performance du système, associant CépiDc, direction générale de la Santé (DGS) et Institut de veille sanitaire (InVS).
Après une étude préalable, le groupe s'apprête à lancer au début de l'année prochaine une étude pilote à partir de quelques sites hospitaliers. La réflexion se poursuit dans le même temps pour la transmission informatique des données par les médecins certificateurs de ville (30 % des décès), probablement à partir de la carte CPS. « L'informatisation dans les hôpitaux pourrait être opérationnelle dans un délai de deux ans dès lors que sera donnée l'impulsion politique, estime Eric Jougla, l'un des responsables de ce chantier. La certification électronique des décès n'ambitionne certes pas de rendre les données disponibles en temps réels, mais il est parfaitement imaginable qu'elles permettent d'activer des alertes dans des délais de l'ordre de deux semaines. Des indicateurs ponctuels pourraient aussi être mis en place sur des programmes pilotes, par exemple sur le suicide ou les affections nosocomiales, qui bénéficieraient d'une réactivité performante. »
Un programme à l'échelle européenne pourrait également voir le jour, les gouvernements de l'Union ayant, semble-t-il, pris la mesure des risques que font courir aux populations les catastrophes sanitaires, météorologiques et autres.
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