LE QUOTIDIEN - On assiste actuellement à la multiplication des initiatives et contributions pour tenter de réformer le système de soins et faire évoluer la médecine de ville. Que faut-il penser de ce foisonnement ?
Jean-Jacques ROSA - Il me semble que c'est bon. Au moins, tous les acteurs impliqués se rendent compte qu'il y a des choses à changer, ce qui n'était pas le cas auparavant. Jusque là, il y avait une bataille entre les différents intervenants qui se déroulait dans la coulisse, mais le système lui-même n'était pas mis en cause. De ce point de vue, il y a une prise de conscience collective utile. Le désordre actuel témoigne aussi de la réalité des problèmes. Peut-il sortir quelque chose de tout cela ? Personne ne le sait vraiment.
Beaucoup d'intérêts en jeu
Pensez-vous que le gouvernement est disposé à une réforme de grande ampleur dans les mois qui viennent ?
Très franchement, c'est difficile à dire. La stratégie politique des gouvernants, ça m'échappe! Mais mon avis est que, comme pour les retraites, la présidentielle va geler les possibilités réelles de réformes car personne n'en maîtrise les répercussions politiques. Beaucoup d'intérêts sont en jeu et je vois mal les gens au pouvoir prendre le risque, juste avant une élection présidentielle, de faire des changements radicaux. D'autant plus que, malgré les mouvements de protestation des médecins, jusqu'à présent, le système pouvait survivre dans une forme pratiquement inchangée, en alourdissant toujours la charge fiscale. Le gouvernement doit sans doute se dire : pourquoi pas un an de plus ?
Les dépenses de santé continuent d'augmenter à un rythme soutenu (+ 6 % en 2000). Comment expliquez-vous cette situation ?
Je ne sais pas, justement, s'il s'agit d'un dérapage. Tout le monde dit qu'il est mauvais que les dépenses de santé augmentent. Mais il n'est pas forcément négatif que les dépenses de santé augmentent si cela correspond à une qualité des soins donnée. Ce qui provoque des réactions et des inquiétudes, c'est le fait que le système est uniquement financé par l'impôt et que la dépense de santé alourdit constamment les impôts. J'ai toujours dit, pour ma part, qu'il fallait demander aux consommateurs eux-mêmes s'ils voulaient consacrer davantage de leur budget aux dépenses de santé. Laissons donc les gens décider et moduler, pour une large part, le montant de leur assurance.
Donc leur couverture sociale ?
Oui, à condition qu'il y ait une assurance obligatoire sur la maladie, qui couvre les grands risques de façon à ce que personne ne soit dépourvu devant les difficultés majeures de l'existence. Mais au-delà, laissons une vraie marge d'action aux individus pour se couvrir ou pas et on verra bien si les individus veulent dépenser davantage. Peut-être que la conclusion surprendra, à savoir que les gens veulent dépenser encore plus ! L'objection habituelle consiste à dire que les plus pauvres n'auront pas le choix. J'estime qu'il faut donc absolument maintenir en l'état la partie « transferts sociaux », c'est-à-dire l'argent qu'on prend sur les ménages les plus riches pour subventionner l'achat d'assurance-maladie par les ménages les plus pauvres. Mais une fois que ces moyens ont été donnés à tous, laissons à chacun la liberté d'acheter moins ou plus d'assurance-maladie.
On mécontente tout le monde
En matière de maîtrise des dépenses, pensez-vous que l'on soit arrivé au bout de la logique du plan Juppé ?
Oui, c'est bien ce qui est en cause aujourd'hui. Derrière cette logique, il y avait la conviction qu'on dépense trop de toute façon et qu'il faut, autoritairement, bureaucratiquement, limiter les dépenses. Les offreurs de soins ne sont pas d'accord mais peut-être que les patients ne sont pas d'accord non plus. On mécontente tout le monde. On ne peut continuer dans un système qui n'est pas raisonnable car il ignore la volonté des consommateurs. Il n'y a pas, dans le pays, de mouvement des vendeurs de réfrigérateurs ou d'automobiles disant qu'ils sont furieux parce que le gouvernement trouve qu'on dépense trop dans l'achat de frigos ou d'automobiles. Cela ne se produit pas parce que ce sont les acheteurs individuels qui décident. Encore une fois, pour la santé, il faut redonner aux assurés des marges de choix et, de là, le concept même d'excès de dépenses perdra tout son sens.
Faut-il supprimer le système des lettres clés flottantes, que les médecins assimilent à des sanctions ?
Ces modalités me semblent des détails par rapport à une stratégie fondamentale. Ce qui pose problème, c'est d'une part que toutes les dépenses de santé sont financées exclusivement par l'impôt - et que le niveau d'imposition en France devient intolérable - et, d'autre part que, sur ce seul argument, le gouvernement veut rationner ce qui ne marche pas.
Le Medef veut aborder, en mars, l'assurance-maladie dans le cadre de la refondation sociale. Les idées du patronat peuvent-elles, dans le blocage actuel, trouver un écho plus important ?
Sans doute, mais il y a un problème de communication qui fait obstacle. Or, ce qui est présenté comme l'intérêt des entreprises peut aussi être l'intérêt des Français. La fin du quasi-monopole de l'assurance-maladie serait utile. Ce dont nous avons besoin, c'est de réformer un système archaïque qui a atteint ses limites par les tensions sociales qu'il provoque.
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