DE 1999 A 2001, Bernard Kouchner a été, au Kosovo, le Srrg (Special representative of the secretary general), avec rang de secrétaire adjoint des Nations unies. Comme dit Kipling, qu'il cite, il y a deux sortes de gens, ceux qui restent chez eux, et les autres. Donc, le ministre délégué à la Santé de Lionel Jospin largue en ce 15 juillet 1999 ses amarres gouvernementales, étreint par les secrétaires et les huissiers qui le pleurent dans les couloirs comme s'il courrait à une mort certaine, et il se retrouve sur le tarmac de Slatina, sur le plateau du Kosovo, sous le dur soleil de l'été balkanique.
Commence la mission d'un homme qui n'avait pas « le bon profil » onusien : trop politique et non gouvernemental à la fois, pas assez diplomate et souvent activiste, porté à la dénonciation tapageuse des violations des droits de l'homme. Un profil peu classique, mais, justement, c'est sans doute ce « défaut » qui a emporté le choix de Kofi Annan en sa faveur.
De quoi désespérer.
Pendant deux ans qui font suite à des siècles de haine entre les Albanais du Kosovo et les Serbes qui s'accrochent à cette terre, le Srrg va tenter de rétablir l'ordre public, lui qui, jadis, s'était trouvé du côté des manifestants plus souvent qu'à son tour. « Ça vous change un homme », convient-il.
Fin 1999, le sang coule à flots : jusqu'à 50 meurtres par semaine, des meurtres inter- et intra-ethniques. De quoi désespérer. Bernard Kouchner commande une force de police qui a compté jusqu'à 4 387 hommes et femmes de 53 pays. Au fil des pages, c'est la chronique de leur guerre qu'il écrit, emporté dans l'indescriptible maelström kosovar. Conférences de presse entourées de snipers, émeutes saturées de gaz lacrymogènes sous la menace des armes automatiques, commandos de diplomates qui négocient cependant sans relâche dans tous les secteurs d'une vie publique en charpie : justice, énergie, information, éducation... Et santé : l'ex-ministre du pays classé en tête par l'OMS pour ses performances médicales raconte : « Je passais (...) une nuit à l'hôpital de Pristina, curieusement le plus étendu d'Europe, mais doté d'équipements dérisoires : le Moyen Age de la médecine. Ainsi, la maternité n'avait jamais bénéficié de chauffage. Les femmes y accouchaient par moins dix degrés centigrades. Bien sûr, l'eau était gelée. Nous avons fait poser le chauffage. Combien de temps fallut-il ? Je crois que ce n'est pas encore terminé. (...) Les arrivées aux urgences dans des ambulances militaires prenaient à la gorge. Des familles entières, des morts et des blessés mélangés, entassés, des enfants, des hommes jeunes qui avaient attendu dans un froid mortel sur le bord des routes, saignant souffrant, sans que personne ne vienne les secourir. »
Car il s'agit là des victimes ordinaires de la route. Elles s'ajoutent aux assassinats dont « l'horreur vous laissait le cœur au bord des lèvres ».
« Les Guerriers de la paix » racontent comment, en deux ans, de ces âcres ténèbres balkaniques finira par jaillir un petit peu de lumière. « Nous ne fûmes pas parfaits (...), mais nous avons été utiles », estime Bernard Kouchner.
Son livre aurait aussi pu s'appeler Pristina-Bagdad. Sans cesse, les tragédies des deux villes s'y font écho : les premières pages reviennent sur la mort de Sergio Vieira de Mella et de son équipe, tombés le 19 août 2003 dans un attentat au camion-suicide contre le mur d'enceinte de leur mission onusienne dans la capitale irakienne. Les dernières évoquent l'accumulation des bévues du Pentagone dans les peace making operations irakiennes. De l'ode vibrant à la mémoire des amis assassinés au manifeste pour le droit d'ingérence, le combat continue.
Grasset, 490 pages, 20,90 euros.
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