L A décision de Jacques Chirac d'ajourner l'inscription du projet de loi sur la Corse au Conseil des ministres d'hier est un acte politique sans précédent dans la cohabitation.
En attendant les exégèses des constitutionnalistes qui nous diront très vite s'il a outrepassé ses droits, ce qui est bien improbable, il apparaît que le chef de l'Etat, qui a émis à plusieurs reprises ses propres réserves sur le projet de loi, et plus particulièrement sur la nature d'un statut quasiment extra-national de la Corse, n'a pas craint de se livrer à un coup de force.
Le Premier ministre avait refusé de tenir compte de l'avis du Conseil d'Etat, lequel avait soulevé le problème posé par la possibilité offerte à la Corse de « déroger à certaines dispositions législatives dans des conditions définies par le Parlement ». Il est vrai que le Conseil d'Etat n'est qu'une instance consultative. En revanche, le point de vue du chef de l'Etat, qui appuie sa décision sur l'avis du Conseil d'Etat, ne saurait être négligé par le gouvernement.
Celui-ci pouvait se soumettre à la décision du président et attendre des jours meilleurs. Il pouvait aussi ouvrir avec l'Elysée une sorte de négociation en vue d'amender le projet (qui, en l'état, peut être également critiqué par le Conseil constitutionnel).
M. Jospin a préféré demander la réinscription du projet sans changement à un autre Conseil des ministres et a laissé entendre qu'en cas de résistance du président, il s'en remettrait au Parlement.
Les positions adoptées par le gouvernement ou par le président de la République ne semblent pas anti-constitutionnelles, jusqu'à preuve du contraire. Tous deux semblent soucieux de rester dans le cadre strict des dispositions qui régissent l'exécutif et d'échapper à des critiques d'ordre juridique qui affaibliraient leurs attitudes politiques. Mais l'un et l'autre vont aussi loin qu'ils le peuvent dans le conflit qui les oppose ; et s'il est beaucoup trop tôt pour parler d'une crise de régime, la crise ouverte par la question corse est d'une gravité sans commune mesure avec les précédentes.
D'abord elle oppose le président et le Premier ministre sur le fond, c'est-à-dire l'avenir de nos institutions, alors même que le ministre de l'Education, Jack Lang annonce un programme du gouvernement pour « moderniser » la République. S'agit-il d'un toilettage ou du prochain avènement de la VIe République ? On n'est pas trop étonné de ce que M. Chirac s'empresse d'arrêter -s'il le peut- une évolution contraire aux principes fondateurs du gaullisme. On est surpris, en revanche, de ce qu'il ait choisi la manière autoritaire, comme si le projet pour la Corse, dont il approuve par ailleurs un certain nombre d'éléments favorisant l'autonomie de ses habitants, lui apparaissait, par d'autres aspects tellement contraires au principe de la République une et indivisible qu'il préfère affronter la crise aujourd'hui, au risque de donner subitement de la cohabitation une image détestable.
Bien sûr, on ne saurait éliminer les calculs électoraux qui sous-tendent cette très vive et très sérieuse querelle entre les deux détenteurs de l'exécutif. Mais elle porte aussi sur une question fondamentale susceptible de faire réfléchir tous les Français, y compris ceux qui s'identifient à la gauche plurielle : chacun se définira par rapport à la Constitution actuelle et se demandera s'il faut la garder ou la changer. Cette fois, la cohabitation ne se traduit pas seulement par des occasions de lancer des banderilles à l'adversaire dans l'espoir de le déstabiliser. Elle devient durablement conflictuelle. Cela signifie que, jusqu'à l'élection présidentielle, la France sera gouvernée par un pouvoir divisé en deux parties hostiles l'une à l'autre, et de manière irréductible.
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