Comment on fait les bébés

La Cité des sciences donne les (nouvelles) recettes

Publié le 10/12/2010
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Crédit photo : CSI/A. ROBIN

C’EST UN BÉBÉ géant qui accueille les curieux de science pour une passionnante exposition au premier étage de la Cité des sciences. La sculpture faite de papier japonais, réalisée par l’artiste Lika Kato, flottant dans les airs, « symbolise l’enfant roi, ou le désir effréné d’enfant », explique Alain Labouze, le commissaire de l’exposition « Les (nouvelles) façons d’avoir des enfants ».

À côté du gros bébé-lanterne sont affichées des photographies grand format. Des femmes enceintes, dont les corps nus ont été entièrement maquillés, comme peints. Elles sont belles, ces femmes, colorées, glamour et drôles à la fois, rappels incessants à des références, parfois antiques et toujours vraiment très colorées. « C’est un peu trivial, mais nous tenions à rappeler que l’enfant commence d’abord dans le ventre de la mère », traduit encore le commissaire de l’exposition. Dans des cubes de cristal de synthèse sont inclus des fœtus, la plupart costumés, du moins détournés de leur candide nudité : Spiderfoetus, Catfoetus. Déroutants objets, inquiétants même, qui font écho à l’une des thématiques développées dans la collection des panneaux didactiques : le désir de l’enfant parfait.

Hors du temps naturel.

L’exposition prend sa place dans un contexte particulièrement d’actualité, avec la révision de la loi de bioéthique et le débat sur la recherche sur les embryons et les cellules souches. Elle rend hommage au prix Nobel de médecine récemment attribué à Robert Edwards, père de la fécondation in vitro.

L’exposition, nommée « expo-dossier », se parcourt tel un livre. Les structures métalliques sont divisées en quatre chapitres, montrant d’abord le processus long et laborieux de la procréation assistée, « hors du corps », lorsque les stimulations ovariennes ne suffisent pas. Est ensuite développée l’idée qu’avec la procréation, on sort du temps naturel. Des courbes montrent qu’il y a plus de chances que la manipulation fonctionne avec des ovocytes d’une donneuse âgée de 25 ans plutôt qu’avec ceux d’une femme de 40 ans ou plus. Se pose dans une troisième partie la question du choix, d’un bébé sur catalogue. Cette partie montre comment le diagnostic préimplantatoire permet de concevoir des enfants remèdes, ou à l’inverse, même si de façon marginale, peut être requis par des parents qui souhaitent transmettre leur handicap à leur descendance, désirant partager avec eux leur particularisme (par exemple le nanisme, la surdité).

L’exposition dure jusqu’en avril. D’ici là, les responsables de l’exposition se tiennent prêts à corriger, adapter en fonction de nouveaux événements. De même que la nouvelle de la première naissance réalisée à partir d’ovocytes congelés début novembre par l’équipe du Pr René Frydman a été ajoutée en pleine installation de l’expo.

Tous les panneaux sont trilingues, (français, anglais, espagnol). L’exposition se veut d’ailleurs mondialiste. Un panneau – pour lequel le commissaire raconte s’être bien creusé la tête – illustre le moment à partir duquel on considère une personne humaine comme telle. Les critères sont fort distincts selon les pays et aboutissent à des dates très éloignées les unes des autres. Pour l’Argentine, c’est le code civil qui indique que l’on est personne humaine juste après la fécondation. Au Chili, on prend ce même point de départ, mais suivant la loi et des décrets religieux. La loi allemande considère, elle, les premiers battements cardiaques. Au Brésil, la personne humaine a un poids : 500 g, et on appartient à l’humanité. Aux États-Unis, c’est la Cour suprême qui a tranché pour les 22-25es semaines. La France fait partie des pays qui… n’ont pas encore trouvé la réponse, comme le Canada, l’Italie, la Belgique, le Japon, Israel, les Pays-Bas.

Rencontres.

La quatrième partie évoque l’émergence de nouvelles formes de filiation et de parenté, à travers notamment deux reportages, filmés, l’un au sein de l’hôpital de Sèvres, qui pratique les FIV, et l’autre sur la perte de la fertilité masculine.

Sur grand écran, derrière le gros bébé de papier, un film est projeté. Tourné en septembre dernier en Haïti, « Les enfants du code noir » « rend compte de structures familiales inédites. Il montre que la façon de construire le triangle père-mère-enfant est très distincte selon que l’on se trouve dans un pays développé ou en développement. Les situations de procréation sont vécues différemment. »

Une collection de couvertures de la revue bimensuelle « Guérir » montre que, déjà, en 1934, les femmes avaient peur de la stérilité. On y voit des femmes en plein désarroi. Quelque chose, peut-être les années qui ont passé depuis, et les nouvelles techniques avec, nous autorise à sourire devant ces visages qui semblent sortis d’un film d’épouvante.

Pour décidément ouvrir l’horizon, la parole est donnée, dans 8 interviews enregistrées, à des experts de la fécondité (le Pr Claude Sureau, ancien président de l’Académie de médecine, le Pr Pierre Jouannet, bien sûr, spécialiste de la reproduction humaine et conseiller scientifique de l’exposition) mais aussi aux sciences humaines : une anthropologue, des sociologues ouvrent le débat en donnant des avis très fins, personnels et riches.

« J’ai compris que cette aventure, celle du désir d’enfant, ce sont avant tout des rencontres. Entre un homme et une femme, ou bien désormais entre deux femmes ou entre deux hommes. C’est aussi la rencontre entre un spermatozoïde et un ovule, entre un embryon et sa future mère, entre des médecins, des scientifiques et toute une série de personnes qui étudient, analysent la société. Ce qui me séduit dans cette exposition, c’est la rencontre entre le scientifique et l’artistique. Tout cela ne se réduit plus à la technique. Il y a du rêve dans le désir de filiation, de la magie, de l’imaginaire, que l’on retrouve dans cette dimension artistique. Avec cette exposition, l’embryon est introduit dans l’humanité. »

« Les (nouvelles) façons d’avoir des enfants », jusqu’en avril 2011 à la Cité des Sciences et de l’industrie. Du mardi au samedi de 10 à 18 heures, le dimanche de 10 à 19 heures.

AUDREY BUSSIÈRE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8874